logo

La ruée vers l’or : le lourd tribut payé par le Pérou à la crise financière

Depuis le début de la crise de 2008, la déforestation au Pérou a été multipliée par trois à cause d’une nouvelle ruée vers l’or, révèle une étude américaine. Une course au précieux métal qui a aussi un important coût humanitaire.

En apparence, le Pérou s'est bien remis du choc mondial de la crise financière de 2008 selon les standards du Fonds monétaire international. Avec un taux de croissance moyen sur les cinq dernières années de 7%, le pays a tout du bon élève aux yeux du FMI.

Le Carnegie Airborne Observatory en action

Survol de la région de Madre de Dios par l'avion du Carnegie Airborne Observatory

Mais derrière les chiffres, il y a une tout autre réalité. Le pays a payé un lourd tribu à la crise comme le révèle une récente étude du Carnegie Airborne Observatory, une initiative de cartographie aérienne de l’université américaine de Stanford.

Les résultats de cette étude, relayés mardi 29 octobre par le quotidien britannique "The Guardian", ne concernent pourtant en rien la finance. En utilisant des technologies dernier cri, cette équipe d’universitaires a pu constaté que la déforestation de la Madre de Dios - une région du sud-ouest du Pérou qualifiée de “poumon mondiale de la biodiversité” - était environ 40% plus importante que ce qui était communément admis jusqu’à présent.

Des ravages considérables à l’écosystème dûs exclusivement au boom de l’exploitation des mines d’or. La surface utilisée pour extraire ce précieux métal, au détriment de la forêt amazonienne de Madre de Dios, a augmenté de 400% depuis le début du XXIe siècle. Mais surtout “la surface de forêt détruite est passé de 2166 hectares avant 2008 à 6145 hectares après le début de la crise”, souligne Greg Asner, le responsable de cette étude.

Ambiance de Far-West

Pourquoi une telle accélération à ce moment-là ? “Après le début de la crise financière, les investisseurs en quête des valeurs refuges se sont tournés vers l’or, dont le prix a considérablement augmenté, ce qui s’est traduit par une explosion de l’activité minière”, explique à FRANCE 24 Payal Sampat, directrice du programme “No Dirty Gold” pour l’ONG américaine Earthworks. Ainsi, en 2011, au plus fort de la crise, l’once d’or atteignait le prix de 1921 dollars, un record.

Cette ruée mondiale vers l’or s’est révélée une malédiction environnementale pour le Pérou, comme le montre l’étude du Carnegie Airborne Observatory. Le pays, en tant que principal producteur d'or en Amérique du Sud, a attiré toutes les convoitises. “C’est la première destination d’Amérique du Sud pour les nouvelles exploitations de mines d’or avec des conséquences catastrophiques pour l’environnement”, souligne Payal Sampat.

Pour la région de Madre de Dios, le prix payé au dérèglement de la finance mondiale n’a, en outre, pas seulement été environnemental, mais aussi humanitaire. Dans cette région large de 85 000 km², à la frontière du Brésil et de la Bolivie, l’extraction d’or est le fait de petites exploitations, illégales pour la plupart, employant environ 30 000 personnes dans des conditions déplorables. Travail forcé, violence physique, travail d’enfants ou encore esclavage sexuel autour des sites des mines sont les principales exactions constatées par l’ONG américaine Verité, qui a passé six mois, entre août 2012 et janvier 2013, à Madre de Dios. Son rapport, publié en septembre 2013, décrit une ambiance de Far-West où toute l’économie locale est sous la coupe de groupes mafieux “venus de Chine, de Corée du Sud ou de Colombie”.

Réaction du gouvernement péruvien

Cette exploitation de la misère humaine a permis aux petites mines d’or de Madre de Dios de produire près de 11 millions de grammes d’or sur les six premiers mois de 2012. Pour l’ONG Verité, le boom de cette industrie sauvage a atteint un tel point que “les exportations d’or produites illégalement dépassent celles de drogues au Pérou”. Une situation telle que le gouvernement péruvien a cherché à y mettre un peu d’ordre. Début 2012, il a décidé que l’extraction d’or ne pourrait se faire qu’à l’intérieur d’un corridor de 500 000 hectares (voir l'infographie ci-dessous) et que la situation de tous les travailleurs du secteur devait être régularisé en septembre 2013.

Pas de chance, en août dernier, la journaliste et documentariste américaine Stephanie Boyd, qui vit et travaille depuis 16 ans au Pérou, a constaté qu’il n’y avait encore eu aucune demande de régularisation de la part des travailleurs de Madre de Dios. Lima “a été obligé de repousser la date butoir à avril 2014”, constate-t-elle dans le magazine américain “The New Yorker”. “Il y a malheureusement peu de chance que des personnes dont la seule source de revenu provient de cette industrie acceptent de se mettre en conformité avec la nouvelle réglementation, au risque de devoir abandonner des mines qui, du jour au lendemain, n’ont plus le droit d’exister”, regrette Payal Sampat.

Pour cette experte, il est cependant “facile de ne blâmer que les petites exploitations”. Quelque 70% de la production d’or dans le monde provient des grandes mines qui, tout comme les petites structures plus sauvages, se sont multipliées ces dernières années. “Il serait intéressant de voir dans d’autres régions du monde, comme en Afrique de l'Ouest et en Asie, si les ravages de la ruée vers l’or sont aussi importants qu’au Pérou”, remarque Payal Sampat.