
Les juges d’instruction chargés de l’enquête sur les fonds dissimulés de Jerôme Cahuzac ont mis en examen la banque suisse Reyl & Cie. Une décision qui met sur le devant de la scène cette institution financière à la croissance fulgurante.
Après Jérôme Cahuzac et son épouse, c’est au tour de la banque suisse Reyl & Cie d'être rattrapée par le scandale. Mardi 29 octobre, l'institution financière a confirmé avoir été mise en examen par les juges d’instruction français Renaud van Ruymbeke et Roger Le Loire, chargés d’enquêter sur le scandale des avoirs dissimulés de l’ancien ministre socialiste du Budget. Une décision qui rappelle la place centrale de la banque genevoise dans cette affaire. Mercredi, l'affaire se compliquait : l'AFP, citant des sources judiciaires, affirme que c'est en réalité François Reyl, PDG de la banque, qui a été mis en examen.
Reyl & Cie s’est déclarée “sereine à l’issue de cette audition qui lui a permis de démontrer qu'elle a agi en conformité avec les législations et réglementations qui lui sont applicables”. La banque n’a, en revanche, pas souhaité préciser les charges pénales retenues contre elle et notamment si les juges l’ont accusé de blanchiment d’argent.
Reste que depuis le début des révélations, fin 2012, qui ont mené à la démission de Jérôme Cahuzac du gouvernement, cette banque apparaît comme l’illustration parfaite de l’institution qui a su mettre la légendaire discrétion suisse au profit de riches VIP. Fondée en 1973 par le Français Dominique Reyl, Reyl & Cie est qualifiée par le quotidien “Le Monde” de “boîte de Pandore” qui risque d’exploser au visage de dizaines de personnalités du monde politique et du show-biz français. Parmi ses clients connus figurent, d’après le magazine "Capital", Paul Dubrule, le cofondateur du groupe hôtelier Accor, et le publicitaire Jacques Séguéla qui, selon les informations du "Monde", a un compte à la succursale parisienne de Reyl.
De 1 à 9 milliards de francs suisses en 10 ans
L'établissement ne connaît, en fait, son véritable essor qu’à partir du moment où Dominique Reyl nomme en 2002 son fils François à la tête de Reyl & Cie. Les fonds qu’elle gère passent de 1 milliard de francs suisses (809 millions d’euros) en 2006 à 7 milliards (5,6 milliards d’euros) en 2012. Son but avoué, d’après le site économique américain Bloomberg, est d’atteindre 9 milliards de francs suisses (7,2 milliards d’euros) en 2015.
Car malgré les démêlés judiciaires, Reyl & Cie continue à grossir. Depuis ses débuts, elle a ouvert, outre son siège à Genève, des bureaux à Zurich, à Paris, au Luxembourg, à Singapour, à Hong-Kong ou encore à Londres et compte prochainement s’étendre au Moyen-Orient. Elle emploie actuellement plus de 150 personnes à travers le monde, soit dix fois plus qu’au milieu des années 2000, d’après le site Mediapart, à l’origine des principales révélations du scandale Cahuzac.
Pourtant, jusqu’à récemment, elle n’était même pas une banque à proprement parler. Elle n’a obtenu l’agrément des autorités suisses qu’en novembre 2010, soit bien après avoir reçu l’argent de Jerôme Cahuzac en 1998. Le statut intermédiaire dont elle bénéficiait alors a d’ailleurs joué en sa faveur pour attirer une riche clientèle désireuse de rester aussi anonyme que possible.
Les "patates chaudes" à Singapour
Un avantage qu'illustre la chronologie de l’affaire Cahuzac. L’ancien ministre du Budget avait tout d’abord eu un compte auprès de la banque suisse UBS. Mais le géant bancaire suisse est une cible privilégiée pour les pays qui cherchent à retrouver leurs exilés fiscaux. L’argent de Jérôme Cahuzac fait donc un tour par la case Reyl & Cie... avant de revenir à UBS en tout anonymat. Le petit gestionnaire de fortune n’a en effet pas le droit de gérer des comptes pour ses clients.Il ouvre donc un compte auprès d’UBS, en son nom, sur lequel il met l’argent de ses clients sans avoir à déclarer à la banque à qui appartiennent vraiment les fonds.
Les choses se compliquent pour Reyl & Cie à partir de janvier 2010, lorsque la Suisse commence à appliquer les règles de l’OCDE en matière d’échange d’informations fiscales entre pays signataires. Il faut alors pour les institutions financières suisses se mettre à chercher d’autres cieux plus discrets. C’est l’aventure singapourienne. Officiellement, Reyl justifie l’ouverture d’une filiale en Asie par le désir de profiter "de l'essor économique et de la création de richesse dans cette zone". Mais selon un expert fiscal interrogé par “Le Monde” en avril 2013, “la raison principale, c'est que Reyl ne pouvait plus garder toutes ces patates chaudes à Genève".
Des “patates chaudes” qui ont donc finalement rattrapé Reyl. Et qui pourraient lui causer encore plus de problèmes judiciaires. La banque fait en effet l'objet d'une autre enquête spécifiquement pour "blanchiment de fraude fiscale", également menée par les juges financiers Renaud van Ruymbeke et Roger Le Loire. Cette seconde enquête avait été ouverte après les déclarations, le 18 avril devant les magistrats, d'un ancien cadre de Reyl, Pierre Condamin-Gerbier, interrogé comme témoin dans l'affaire Cahuzac.