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À l’heure où l’Otan retire peu à peu ses troupes d’Afghanistan, Kaboul peine à retenir ses soldats au sein de ses contingents. Des défections qui font craindre pour la stabilité du pays. Témoignages de déserteurs.

Alors que l'Otan s'apprête à retirer ses troupes d'Afghanistan, après plus de dix ans d'occupation, Kaboul reprend peu à peu le contrôle sécuritaire de certaines régions du pays. Problème : le pays peine à faire face à des désertions massives de ses troupes. Chaque année, quelque 100 000 soldats ou policiers abandonnent leur poste, soit un tiers des effectifs . Une situation qui fait douter de la capacité du gouvernement d'Hamid Karzaï à assurer la sécurité du pays, après le départ des troupes de l'Alliance transatlantique, d'ici à la fin 2014.

Sur les hauteurs de Kaboul, à l’heure où les enfants jouent au cerf-volant, un père de famille revient sur les raisons de sa désertion. Après huit années passées dans l’armée afghane, il confie à FRANCE 24 sa lassitude de servir dans "un combat qu’il juge inégal". "Pendant les affrontements, souvent nos armes s’enraillent, cela m’est arrivé trois fois, elles surchauffent, et se bloquent, déplore-t-il. L’équipement des Taliban est bien meilleur, ils ont de vraies kalachnikovs, alors que nous, nous avons des armes chinoises."

Aux problèmes matériels s’ajoutent des retards récurrents dans le versement des soldes. "Les salaires étaient versés avec 15, 20 jours, parfois même un mois de retard, explique l’ancien soldat. Et 220 euros par mois, ce n’est même pas assez pour payer un loyer à Kaboul." Les Américains injectent pourtant chaque année des centaines de milliers de dollars dans l’armée afghane.

Intimidations des Taliban

D’autres raisons expliquent encore les défections. Un rapport du Pentagone, publié en décembre 2012, met en avant de multiples dysfonctionnements au sein de l'armée afghane : défaut d’encadrement, rythme opérationnel élevé, nombreux refus de permissions, manque de responsabilité, difficile séparation avec les familles, ou encore la “culture du combattant saisonnier”. Certains soldats s’arrogent, en effet, des permissions non autorisées pour, par exemple, participer aux récoltes, quand ils sont issus d’un milieu paysan.

Enfin, les sanctions pour dissuader ceux qui quittent l’uniforme sont totalement inexistantes, faute de recrues suffisantes. "Mon père ne voulait plus que je serve dans l’armée", indique simplement un jeune déserteur, de retour dans le bureau des recrutements pour justifier ses trois années de désertion. "Cela arrive souvent que des Taliban menacent tout une famille, s’il l’un d’entre eux rejoint l’armée", explique le Colonel Kareemullah, responsable du centre de recrutement de Kaboul. "Dans ce cas, le soldat est obligé de retourner dans sa famille pour mettre les siens à l’abri, et de postuler [à nouveau] auprès de nous".

Quand les soldats revendent leurs armes aux Taliban

Plus grave, de plus en plus de déserteurs rejoignent les rangs de l’insurrection ou marchandent avec les Taliban. En échange de sa kalachnikov et de son gilet par balles, un ancien policier, rencontré par FRANCE 24, a reçu 200 dollars des Taliban et un sauf-conduit pour ses proches. "Je connais plein de gens qui ont vendu leurs armes, tout le monde fait ça, même des commandants", raconte un ancien soldat, sous couvert de l’anonymat. "Certains ont même vendu plein d’autres choses, comme des 4X4 et des réserves d’essence".

Pour Miyuki Droz Aramaki, correspondante FRANCE 24, le phénomène risque de s’amplifier avec le départ des troupes de l’Otan. "Incapable d’endiguer les désertions, le gouvernement Karzaï perd du terrain", alors que "les Taliban sont capables de mener des opérations dans toutes les provinces du pays."

Les États-Unis et l'Afghanistan négocient depuis des mois un traité bilatéral de sécurité [BSA], qui doit encadrer la présence américaine dans le pays au terme de la mission de combat de l'Otan, fin 2014.

Le départ des soldats de la coalition s'effectuera dans un contexte politique sensible, l'Afghanistan doit élire un nouveau président le 5 avril prochain.