Un accord a été trouvé mercredi soir au Congrès américain mettant fin au "shutdown" qui paralysait le pays. Mais l'épisode risque de laisser des traces chez les républicains comme chez les démocrates. Regards croisés de deux politologues américains.
La Chambre des représentants et le Sénat ont voté, mercredi 16 octobre en fin de soirée, le texte de compromis visant à relever le plafond de la dette. Si le pire a été évité, les conséquences de ce fiasco fiscal et politique risquent de laisser des traces à long terme, estiment les observateurs politiques. Parmi eux, Thomas Mann du "think-tank" Brookings Institution, étiqueté démocrate, et Karlyn Bowman, politologue à l'American Enterprise Institute, d'inspiration républicaine. Regards croisés.
Selon le dernier sondage publié mercredi 16 octobre par le "Wall Street Journal" et la chaîne NBC, seuls 24 % des Américains ont un avis favorable des républicains, soit le niveau le plus bas jamais enregistré depuis des années.
Ils ne sont que 21 % à avoir une bonne opinion du Tea Party. Une majorité (53 %) des sondés impute la responsabilité du "shutdown" au parti républicain, contre 31 % qui donnent la faute aux démocrates. Pour sa part, Barack Obama gagne deux points depuis le mois dernier, avec 47 % d’avis favorables.
FRANCE 24 : Les Américains jugent que les républicains ont été davantage responsables de la paralysie que les démocrates, selon un sondage réalisé en octobre (voir encadré). Quelles conséquences peut avoir l’épisode du "shutdown" sur les élections de mi-mandat en 2014 ainsi que sur la prochaine élection présidentielle en 2016 ?
Thomas Mann : Cela dépend beaucoup de ce que les républicains vont faire pour relever la barre. Il est clair que les démocrates ont de grande chance de conserver la majorité au Sénat en 2014, [mais] à la Chambre des représentants, les républicains ont un avantage structurel non négligeable et il est peu probable qu’ils perdent leur majorité.
Karlyn Bowman : Je ne suis pas sûre si nous connaîtrons un jour l’étendue des dommages causés par les bêtises de ces dernières semaines. Les républicains sont certainement les plus grands perdants dans cette histoire. Mais j’ai été choquée ces dernières semaines par la rapidité avec laquelle les informations se succèdent. Il n’y a pas si longtemps, Obama était embourbé dans le dossier syrien, alors que cela semble si loin maintenant. Alors est-ce que les gens se souviendront encore du "shutdown" en novembre prochain ? L’échéance de la présidentielle est encore lointaine, et nous devrions assister à d’autres combats d’ici là.
F24 : Comment les républicains peuvent faire oublier les dégâts qui ont terni l’image de leur parti ?
T. M. : Ils ont beaucoup d’efforts à faire sans pour autant avoir la garantie d’y arriver. Les républicains sont devenus un parti radical, prêt à tout détruire pour renverser Obama. C’est une mauvaise image dont ils vont avoir du mal à se défaire.
K. B. : La réelle question est de savoir à quel point l’image du gouvernement fédéral, qui n’a jamais été aussi mauvaise, s’est dégradée. À l’inverse, les gouverneurs républicains et démocrates s’en sortent plutôt bien [dans les sondages], car les Américains ne les associent pas aux problèmes de la capitale fédérale, Washington. La population a confiance en l’administration de leur État.
F24 : Comment Obama se sort-il de cet épisode du "shutdown" ? Renforcé ou affaibli ?
T. M. : Le président va devoir recentrer son agenda sur le dossier syrien et la destruction des armes chimiques ainsi que sur la croissance économique.
K. B. : Il n’est ni renforcé ni affecté. Personne ne sort grandi dans cette affaire. Obama pâtit de la 'malédiction du second mandat' - un second mandat est toujours difficile. Donc, le président n’a pas gagné de terrain mais n’en a surtout pas perdu autant que les républicains. Les démocrates au Congrès, qui sont moins affectés que les républicains, ne sont toutefois pas en bonne posture.
F24 : Cette crise du "shutdown" relance-t-elle l’idée de l’émergence d’un troisième parti ?
T. M. : Pas vraiment. Avec notre système, il est vraiment difficile pour un troisième parti de remporter des élections et de disposer des bases pour gouverner.
K. B. : Avec la structure de notre gouvernement, il est difficile pour un troisième parti d’exister. Se présenter dans tous les États est lourd techniquement et financièrement.
F24 : En France depuis 2007, les législatives sont organisées dans la foulée de l’élection présidentielle pour éviter les cohabitations et le genre d’impasse dans lequel se sont retrouvés la Maison Blanche et le Congrès. Est-ce que ce genre de réformes pourrait être adopté aux États-Unis ?
T. M. : Pour que cela entre en vigueur aux États-Unis, il faudrait un amendement constitutionnel, ce qui est hautement improbable.
K. B. : Je ne connais pas bien le système politique français, mais je pense que notre calendrier électoral ainsi que son organisation ne sont pas près de changer.