Scandale dans le monde de la vente des livres électroniques : une enquête révèle que certains des plus grandes e-librairies du monde, comme Amazon ou Barnes & Nobles, tolèrent la vente de livres faisant l’apologie d’abus sexuels.
Depuis le 12 octobre, le site de WHSmith, l’équivalent britannique de la Fnac, ne répond plus. Cette célèbre chaîne de magasins culturels, spécialisée dans les livres, a entrepris un grand cyber-nettoyage d’hiver dans ses rayons d’e-books. En cause : les révélations du site américain The Kernel qui fait état d’étranges livres électroniques qu’on pouvait trouver en tapant, entre autre, “daddy” (“papa”).
Inceste, zoophilie, histoires de viols : autant de thèmes abordés dans plus d’une centaine de récits pornographiques extrêmes qu’une vénérable maison comme WHSmith ne pouvait se permettre de référencer dans sa librairie en ligne. “Nous sommes dégoûtés par ces titres spécifiques [listés par The Kernel, NDLR] et trouvons inacceptable leur présence sur le site”, affirme, dans un communiqué, WHSmith, visiblement ignorant que de tels ouvrages pouvaient être achetés chez eux.
Mais WHSmith est loin d’être le seul libraire en ligne à être frappé par ce nouveau scandale. Amazon et Barnes & Nobles, les deux plus importants vendeurs de livres électroniques aux États-Unis, ont également été pointés du doigt par The Kernel. Ils n’ont pas, pour leur part, décidé de fermer leur site le temps de faire un tri, mais se sont empressés de faire disparaître de leur offre les titres cités par The Kernel.
Reste qu’une simple recherche sur Google permet de constater que les fiches de livres traitant de thèmes similaires peuvent encore être consultées, et dans certains cas ces livres peuvent même toujours être achetés. Aucun avertissement, ou éventuel filtre parental, n’empêche des mineurs d’accéder à ces titres. “Il faudrait au moins que certaines œuvres soient cataloguées comme pour adultes, et impossibles à trouver par tout le monde en faisant une simple recherche”, regrette John Carr, secrétaire de l’ONG britannique de défense des droits de l’enfant “The Children's Charities Coalition on Internet Safety”.
L’auto-édition en cause
Si la plupart des médias généralistes anglophones - de la BBC au "Guardian" - ont repris, ce week-end, les conclusions de l’enquête de The Kernel, qui a provoqué un raz-de-marée de réactions sur les réseaux sociaux, le phénomène n’est en fait pas nouveau. Cela fait plus d’un an que l’auteur britannique de livres d’espionnage Jeremy Duns essaie d’attirer l’attention, via Twitter, sur cette “niche” littéraire, qui hante les cyber-étagères des Amazon & Co. “Pour moi, cela fait froid dans le dos. Je ne veux censurer personne, mais j’ai du mal à croire qu’Amazon ou WHSmith pourraient penser qu’il n’y a pas de problème à proposer à la vente des livres évoquant le viol, entre membres d’une même famille, dans une cave”, explique-t-il au site britannique du quotidien "Metro".
Mais à l’instar de WHSmith, ces e-librairies ne sont en grande partie pas au courant - ou préfèrent ignorer - que ce genre de littérature peut s’acheter sur leur plateforme. Tout vient de la mode de l’auto-édition, rendue simple grâce à l’explosion des livres électroniques, et de solutions tout-en-un, tels que le Kindle Edition, devenu populaire grâce à Amazon. Cette manière de vendre des ouvrages sans passer par la moindre maison d’édition a provoqué une nouvelle vague de littérature de plus ou moins bonne qualité. Face à l’afflux de publications qui utilisent ces nouveaux canaux de diffusion, les librairies en ligne ont du mal à s’assurer que tous les titres respectent leurs règles. Comment expliquer sinon que de tels livres puissent s’acheter sur Amazon, alors que le site de vente en ligne affirme “ne pas accepter la pornographie ou la description d’actes sexuels offensants” ?
Reste que pour The Kernel ou encore le quotidien britannique “The Daily Telegraph”, un aveuglement économique peut en être la cause. Amazon, tout comme les autres services de vente en ligne d’e-books, touche 30 % de chaque livre acheté sur son site. “Comme Amazon n’est pas seulement un magasin de livres dans le sens traditionnel du terme, mais aussi un marché, où chacun peut vendre ce qu’il veut. Le site peut tolérer - ou plus précisement ignorer - l’abondance d’ignominies qu’on peut trouver”, souligne “The Daily Telegraph”. Mais en tolérant l’existence de livres faisant l’apologie du viol ou de l’inceste, ces plateformes frôlent dangereusement l’illégalité. “Ils font face à une question très difficile : comment peuvent-ils faire des profits sur la vente de livres qui font l’apologie d’abus sexuels ?”, se demande ainsi Mark Stephen, un avocat et ancien président de l’Internet Watch foundation (Fondation de surveillance de l’Internet).