, envoyée spéciale à Brignoles – Le Front national (FN), favori du second tour des cantonales partielles à Brignoles ce dimanche, a fait campagne sur l'insécurité. Mythe ou réalité ? Troisième et dernier épisode de notre série de reportages.
Taux de participation à la mi-journée
Le taux de participation à l'élection cantonale partielle de Brignoles (Var) était de 45,26% dimanche au 2e tour, en hausse de près de 12 points par rapport au 1er tour, a indiqué la préfecture du Var.
Au 1er tour le 6 octobre, 33,40% des électeurs du canton s'étaient rendus aux urnes. Le candidat FN, Laurent Lopez, était alors arrivé en tête avec 40,4% des suffrages, devant la candidate de l'UMP, Catherine Delzers (20,8% des voix).(AFP)
Brignoles est-elle dangereuse ? C’est du moins sur ce refrain que le Front national (FN) a fait campagne pour les élections cantonales des 6 et 13 octobre, et probablement aussi ce qui lui a permis de remporter 40,4% des suffrages au premier tour. À Brignoles, capitale du centre Var - département historiquement fidèle au Front national, située à 80 kilomètres de la "violente" Marseille - l’argument a fait mouche.
"J’espère que Brignoles ne sera pas comme Marseille", martèle Laurent Lopez, candidat FN, qui affirme avoir vu la cité phocéenne "sombrer". Cambriolages, bagarres à la sortie des écoles, racket, vandalisme… Le candidat énumère tous les maux du coin : le tabac qui s’est fait braquer, la bijouterie attaquée et les vieilles dames insultées. "Les gens ont peur, les femmes n’osent plus sortir le soir, parce qu’elles se font importuner", assure Laurent Lopez, qui promet de renforcer la police municipale. À 48 ans, ce père de deux enfants et ancien cadre sup’ dans l’industrie est aussi candidat aux municipales.
Les chiffres de la gendarmerie ne vont pas dans le même sens. Si "l’industrie" du cambriolage est une réalité, dont les gendarmes ont fait une priorité, la délinquance a baissé de 19 % entre 2008 et 2012. Qu’importe ! Le sentiment d’insécurité ne se mesure pas. Marine, jeune femme blonde aux pupilles artificiellement bleues, ne met plus le nez dehors, dès que la nuit tombe. "En tant que fille, on se fait embêter. On nous siffle, on nous parle mal", témoigne cette militante FN de 20 ans, étudiante en droit.
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Les électeurs du Front national ont changé
"À Brignoles, y’a rien à faire"
"Et de toute façon, sortir ? Pour quoi faire ?" poursuit Marine. Il est 18 heures à Brignoles, le "couvre-feu"a sonné pour de nombreux habitants. Les commerçants tirent le rideau. Les ruelles de la vieille ville se vident et seuls les chats faméliques arpentent les allées rosées par le soleil couchant. Des femmes pressent le pas, des vieux ferment leurs volets, les mères battent le rappel. Sur la place Carami, il n’y a plus que deux cafés ouverts, un kebab, et la supérette gardée par un agent de sécurité. Quelques bandes de garçons traînent sur la place centrale. Désœuvrés.
Dans la journée, le centre n’est pas beaucoup plus animé. Des dizaines de commerces de proximité ont définitivement baissé leur rideau, et cela a sûrement moins à voir avec la fameuse "insécurité", qu’avec l’ouverture d’un centre commercial à la sortie de la ville.
Quand elle se promène dans les rues de la vieille ville, où elle a passé son enfance, Djamila Mehidi, suppléante du maire, est un brin nostalgique. La bâtisse, où elle est née 48 ans plus tôt, est décharnée ; fenêtres sans vitre, porte sous scellé, la belle demeure s’est transformée en squat. Dans les rues adjacentes, les façades aux couleurs délavées tombent en ruine. "Quand j’étais petite, les rues étaient bourrées de gamins qui jouaient à la balle, tous les voisins nous surveillaient, tout le monde se connaissait", se souvient-elle.
17 % de logements sociaux
Comme beaucoup de Brignolais "d’origine", Djamila et sa famille ont quitté le centre, tandis que la flambée des prix dans la région PACA poussait les habitants du littoral à s’y installer. En moins de 40 ans, la bourgade s’est transformée en une ville de 17 000 habitants ; le centre s’est paupérisé, et les populations plus aisées se sont installées dans des villas avec piscine à la périphérie.
"La ville a grandi trop vite, et le développement n’a pas suivi", estime Djamila. Claude Gilardo, le maire, a pourtant investi plus de 50 millions durant sa mandature, et il est fier de ses 17 % de logements sociaux, un taux légèrement en deça des 20% réglementaires, mais déjà trop importants pour certains Brignolais.
Un maire de gauche dans une ville de droite
À chaque élection revient la rumeur lancinante que le maire construirait des logements pour y reloger les habitants des quartiers nord de Marseille, et de la cité Berthe de la Seyne-sur-mer, l’autre ville communiste du département. Une hérésie, selon le maire, qui défend bec et ongle son bilan, tout en assumant sa part de responsabilité dans la défaite de la gauche à la cantonale.
Peut-être n’aurait-il pas dû se désister à la faveur d’un professeur plus jeune, Laurent Carratala, "compétent mais pas assez connu", regrette-t-il. "En même temps, à un moment donné, il faut passer la main", soupire-t-il. Né 79 ans plus tôt à Brignoles, entré à la Ville en 1977, et maire depuis 2008, ce grand-père aimerait profiter pleinement de ses six petits-enfants. Son équipe, elle, n’imagine pas les municipales de mars sans lui. "Claude, le maire c’est toi ! Les gens t’aiment, que veux-tu !" lui martèle sa suppléante et amie Djamila Mehidi. Mais Claude n’écoute les flatteries que d’une oreille.
En sirotant son verre de rosé du déjeuner, il pointe du doigt un platane de la place Carami : "au pied de cet arbre, quand j’étais petit, les gens du village avaient tondu des femmes, qui avaient osé aimer un Allemand", se souvient-il avec l’émotion du jeune garçon qu’il était à l’époque. "L’année dernière, j’ai marié une Brignolaise et un Allemand !", reprend-il, heureux comme un môme. Réparer, réconcilier, unir... C’est comme ça qu’il voit sa tâche. Claude Gilardo n’est pas prêt de la prendre, sa retraite.