logo

Cameroun : Annick Kamgang, autrice d’une BD sur les traces d'un père disparu et d'une guerre oubliée
Dans son roman graphique, Annick Kamgang remonte le fil d'un passé familial douloureux. De retour au Cameroun, elle part sur les traces de son père, au parcours façonné par la guerre d'indépendance et son engagement panafricaniste. Son enquête plonge dans les zones d’ombre d’un épisode longtemps occulté, celui de la guerre menée par la France contre les Camerounais entre 1955 et 1971.
L'autrice et illustratrice franco-camerounaise Annick Kamgang a publié "Les enfants du pays" en septembre 2025. © DR, Charlotte Yonga

"J’aurais plein de raisons d’ignorer mon père et de le détester", confie Annick Kamgang, 45 ans, aujourd’hui installée à Paris. Son père, diplomate camerounais, a disparu de sa vie en 1991, l’année où tout bascule pour la famille Kamgang.

Le Cameroun, comme d’autres pays africains, est alors secoué par des opérations "villes mortes", ces grandes mobilisations réclamant le multipartisme. Son père, haut fonctionnaire de l’Union Douanière et Économique de l'Afrique centrale (Udéac), publie une tribune à Jeune Afrique pour soutenir les manifestants et se voit exposé. Pris à partie, engagé dans une réflexion politique de plus en plus critique envers le pouvoir de Paul Biya, Hubert Kamgang décide d’envoyer ses quatre enfants et sa femme en Guadeloupe, dont cette dernière est originaire, pour les mettre à l’abri. Lui reste au Cameroun, et ne les rejoindra jamais.

"Au début, on s’écrivait, puis les réponses se sont espacées. Les liens se sont distendus. Et moi aussi, j’ai arrêté d’écrire", raconte Annick Kamgang en cette journée de novembre, installée dans un café du 12e arrondissement de Paris. 

Cameroun : Annick Kamgang, autrice d’une BD sur les traces d'un père disparu et d'une guerre oubliée
Annick Kamgang, autrice de la bande dessinée "Les enfants du pays", à Paris, le 5 novembre 2025. © Bahar Makooi, France 24

Dans le dernier roman graphique de l’autrice, "Les enfants du pays" (La Boîte à bulle, septembre 2024), son héroïne, Miriam, vit une histoire similaire. Pour comprendre qui était son père, elle prend un vol pour Yaoundé et part à la rencontre de ceux qui l'ont connu. "En tirant le fil, elle découvre qu’il n’était pas celui qu’il prétendait être", raconte Annick Kamgang, pour qui la fiction sert de voile protecteur. "J’ai choisi de passer par ce mode de narration pour prendre un peu de distance avec mon histoire personnelle et, aussi, pour ne pas faire de peine à ma mère".

Déterrer les secrets de son père

C’est aussi la naissance de son fils qui la décide à renouer avec son père. "Je me suis dit que je ne pouvais pas avoir un enfant sans qu’il sache d’où il vient." En 2016, après avoir longtemps hésité, Annick Kamgang reprend contact avec lui et retourne au Cameroun. Mais quatre ans plus tard, son père meurt avant qu’elle n’ait pu lui poser toutes ses questions.

Pour afficher ce contenu Instagram, il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.

Accepter Gérer mes choix

"Je me suis dit 'mince, tout ça pour ça'. Il partait avec ses secrets." Elle se retrouve à fouiller dans son bureau, à recoller les morceaux : quelques photos, des écrits, des traces d’un passé méconnu.

À partir de 2020, elle entreprend plusieurs voyages au Cameroun pour découvrir ce que son père n’a jamais raconté. Sa quête la mène aussi jusque dans l’Ouest, dans la région du village familial de Batié, où lui reviennent les souvenirs de la fraîcheur des soirées de montagne, l’odeur du feu de bois, les plants de café…

Pour afficher ce contenu Instagram, il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.

Accepter Gérer mes choix

Des souvenirs d’autant plus précieux qu’Annick Kamgang a perdu la majorité de ses albums  photos d’enfance lors de son départ précipité en 1991. C’est aussi ce passé là, qu’elle se réapproprie en les redessinant dans cette BD.

"La peur est encore très présente"

"En cherchant à comprendre les choix de mon père, j’ai découvert un épisode historique que j’ignorais jusque-là : la guerre d’indépendance du Cameroun (1955-1971). Le rôle que mon père a joué durant cet évènement explique sa décision de rester au Cameroun des années plus tard, au point de sacrifier sa vie de famille", raconte Annick Kamgang.

L’autrice découvre que ce geste s’explique par un passé politique profond. Enfant, son père a assisté à la répression brutale de membres de l’Union des populations du Cameroun (UPC). Sous ses yeux, des "maquisards" de ce parti d’opposition, réfugiés dans les montagnes et engagés dans la lutte pour l’indépendance, sont torturés sur la place publique du village. Ces militants, son père les connaît bien puisqu’il leur a servi de secrétaire, étant l’un des rares à savoir lire et écrire dans le village.

Marqué à jamais par ces évènements, le père d’Annick Kamgang restera jusqu’au bout attaché à l’indépendance de son peuple, à travers l’idéal panafricaniste, et à la création d’une monnaie africaine indépendante du franc CFA. Hubert Kamgang présente même sa candidature à la présidence camerounaise par trois fois en 1997, 2004 et 2011 contre Paul Biya.

En restituant cette mémoire, l’autrice s’attaque à un sujet longtemps tabou. "Les gens autour de moi me disaient de ne pas le faire. La guerre d’indépendance a traumatisé une génération entière de Camerounais. À une époque, si vous prononciez ne serait-ce que le nom de Ruben Um Nyobé, l’un des leaders de l’UPC, vous pouviez être assassiné, déporté ou disparaître."

Dans la bande-dessinée, cette tension prend la forme d’un thriller, où Miriam est suivie et menacée. "La peur, dit Annick Kamgang, est encore très présente dans ce pays où les voix discordantes sont criminalisées."

Fin octobre, une quarantaine de Camerounais sont morts et des milliers ont été arrêtés dans les violences post-électorales, selon plusieurs ONG, qui ont dénoncé une répression meurtrière, tandis que le parti au pouvoir a évoqué des arrestations dans le cadre du maintien de l'ordre pour éviter des pillages.

Une page oubliée de l'histoire camerounaise

Le travail mémoriel d’Annick Kamgang fait aussi écho au rapport de la Commission mémorielle remis à Emmanuel Macron et Paul Biya le 28 janvier 2025 et qui a abouti à la reconnaissance de responsabilité de la France dans la guerre de décolonisation du Cameroun avant et après son indépendance en 1960.  

"Je m’intéresse à cette histoire depuis bien avant cette commission", précise toutefois l’autrice, qui reste très critique envers ses conclusions, estimant que le rapport reste muet sur "la Françafrique" et sur le soutien persistant de Paris au pouvoir de Paul Biya.

"Ma volonté à travers cette BD a été de raconter cette guerre de décolonisation", explique Annick Kamgang. "Ce livre est la matérialisation de ma démarche que je partage avec tous", explique-t-elle, espérant ouvrir la voie à d’autres. "Beaucoup de Camerounais portent des secrets familiaux liés à cette guerre. Peut-être que ce livre les aidera à poser des questions."

Pour afficher ce contenu Instagram, il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.

Accepter Gérer mes choix

Le titre de l’ouvrage renvoie d’ailleurs au nom que s’étaient attribués les Camerounais engagés au sein de l'UPC, interdit à partir de 1955, comme le découvre Annick Kamgang qui a exhumé des chants patriotiques de l'époque.

Mais pour elle, "Les enfants du pays" est autant un récit historique qu'une quête personnelle. "Il fallait que je fasse ce travail pour me réconcilier avec mon père", conclut l’autrice qui espère retourner au Cameroun pour présenter l’ouvrage.