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En Picardie, la prison à la ferme plutôt que la prison ferme

La ministre de la Justice, Christiane Taubira, présente un projet de réforme pénale visant à développer l'aménagement de peine. En Picardie, La ferme de Moyembrie, qui dirige ses efforts vers la réinsertion, accueille des détenus en fin de peine.

Pour l’administration, ils sont, pour la plupart, des détenus. Pour leur patronne, des résidents. À seulement deux heures de Paris, en Picardie, une quinzaine de personnes condamnées à de la prison ferme terminent leurs peines – ou entament leur liberté – loin du surpeuplement, de l’inactivité et de la violence des établissements pénitentiaires. Ils travaillent dans une ferme biologique, l’association La ferme de Moyembrie affiliée à Emmaüs, tenue par Anne-Marie Pery, ancienne maîtresse d’école puis éducatrice en prison pendant 18 ans.

"Le champ de maïs, ce sont les barreaux virtuels, explique Anne-Marie, désignant un carré au bout d’une petite route de campagne. C’est la limite qu’on ne doit pas dépasser sans être accompagné par un encadrant. Sur ces 20 hectares, les résidents sont libres, il ne faut pas oublier qu’ils sortent de [cellules de] 9m2. Mais au-delà de ces 20 hectares, ça s’appelle de l’évasion".
Ces 15 personnes au parcours peu commun ont été triées sur le volet. Des juges et des psychologues ont évalué leurs profils et leurs personnalités avant de proposer des candidatures aux encadrants de l’association. Car à la ferme de Moyembrie, n’entre pas qui veut. Les personnes qui réussissent à intégrer l’établissement, souvent après de longues peines de prison, ont un véritable projet de vie et sont dotés d’une grande motivation.

"Réapprendre la vie au quotidien"

Aurélien, 21 ans, est le cadet des résidents actuels. "J’ai un CAP [certificat d’aptitude professionnelle, NDLR] de cuisine, et c’est la première fois que je m’occupe d’un élevage", explique le jeune homme, en faisant entrer des chèvres dans la salle de traite. "Je suis content d’être ici parce qu’en semi liberté, je sortais de 7 heures à midi pour trouver du travail mais ce n’était pas suffisant, et je n’étais pas dans un bon contexte. Je n’aimais pas trop la prison, poursuit-il. Le plus difficile, c’était de rentrer et de se retrouver avec les autres détenus, de savoir ce qui allait se passer le soir, se demander s’il n’allait pas y avoir d’embrouilles".
Dans deux mois, Aurélien sera libre. En attendant, il apprend un métier et travaille tous les matins pour 620 euros par mois. L’après-midi, il effectue toutes les démarches administratives pour retrouver un emploi.
Philippe, lui, est officiellement libre depuis août 2012, mais continue de travailler à la ferme en tant que maraîcher. Il y réapprend peu à peu la liberté. "Vu que je suis resté pas mal d’années en prison, ça m’a permis de retravailler, d’apprendre à dialoguer avec les personnes de l’extérieur, des personnes qui ne nous jugent pas. C’est aussi réapprendre la vie au quotidien, refaire à manger, avoir un appartement, sa propre voiture", explique-t-il.
Un système adopté en Norvège
L’association La ferme de Moyembrie existe depuis 1990. En 23 ans d’existence, ce système a fait ses preuves : l’établissement estime à seulement 10 % le taux de résidents renvoyés en prison au cours de leur séjour à la ferme. En outre, à leur libération, tous trouvent un logement, et environ 60 % décrochent un emploi (souvent des contrats courts) ou suivent une formation.
Les prisons ouvertes sont l’un des axes de réflexion privilégiés dans le projet de réforme pénale présenté mercredi 9 octobre en Conseil des ministres par la garde des Sceaux Christiane Taubira. Elle souhaite rompre avec la philosophie du "tout carcéral", développer des manières d’aménager les peines et abaisser le taux de récidive des condamnés. L’expérience a déjà porté ses fruits dans de nombreux pays d’Europe. À ce titre, la Norvège développe les prisons ouvertes depuis des années. Plus de 70 % des établissements pénitenciers norvégiens appliquent aujourd’hui le régime ouvert, avec un taux de récidive éloquent : selon un rapport datant de 2010, seuls 20 % des condamnés sortant des prisons norvégiennes sont de nouveau condamnés dans les deux ans qui suivent leur libération. Ce taux monte à plus de 40 % aux États-Unis.