logo

Depuis Paris, Radio Erena informe l'Érythrée du drame de Lampedusa

Une station de radio érythréenne, basée à Paris, rend hommage quotidiennement aux victimes du drame de Lampedusa. La majorité des morts étaient originaires d'Érythrée, pays ultra-fermé d'Afrique de l'Est qui a gardé le silence sur le naufrage.

C’est une petite station radio basée à Paris qui a informé les Érythréens du drame de Lampedusa. Et c'est une voix en tigrigna, la langue officielle de l'Érythrée, qui rend chaque jour hommage aux victimes du naufrage, originaires pour la plupart de ce pays autarcique dirigé d’une main de fer par le président Issaias Afeworki. Tous venaient demander l'asile politique en Italie, qui l'accorde, dans la grande majorité des cas, aux migrants érythréens.

En Érythrée, pas un média officiel n’a évoqué le naufrage. Le régime tait le sort de sa diaspora parce que ces émigrés attirés par une vie meilleure en Occident sont considérés comme des "traîtres", commente à l'AFP le rédacteur en chef de Erena, Biniam Simon. En conséquence, les médias officiels propose une "couverture honteuse" du drame de Lampedusa, précise-t-il. "Ils ont parlé ‘d'immigrés d'Afrique de l'Est morts en essayant de traverser illégalement la mer’, sans dire d'où ils venaient. C'était juste pour décourager les aspirants au départ..."

Grâce à Radio Erena, l'information est tout de même passée, assure Biniam Simon, qui n'a toutefois pas d'idée exacte de son audience. "Depuis, tout le monde est abattu à Asmara", la capitale érythréenne, poursuit-il. "Pour nous, c'est presque une affaire personnelle, l'Érythrée n'a que cinq millions d'habitants. Perdre 200 à 300 vies peut potentiellement toucher n'importe qui : les morts peuvent être votre voisin, votre collègue..."

Par devoir de mémoire, Radio Erena couvre au maximum le drame : témoignages de rescapés, prières de prêtres de la diaspora... Elle essaie de rendre hommage de manière la plus digne possible aux victimes de ce bateau de pêche qui transportait environ 500 migrants. Seuls 155 sont sortis vivants.

Seul le ministre érythréen des Affaires étrangères a présenté ses condoléances aux familles. Mais depuis New York.

"Bateau de la mort"

Créée en 2009 avec le soutien de Reporters sans frontières (RSF), cette radio transmet par satellite sur des postes de télévision ou sur Internet (www.erena.org). Le gouvernement avait brouillé le satellite en 2012, mais la radio a changé de fournisseur et repris du service grâce à des financements européens.

"Sur nos ondes, on parle souvent des mouvements de nos concitoyens, a déclaré Biniam Simon. On avait déjà réalisé des interviews pendant une traversée de la Méditerranée avec des gens qui hurlaient de peur."

Pour lui, le traitement du drame de Lampedusa par les grands médias occidentaux est parfois "impropre". "Ils parlent d'immigrants illégaux mais les Érythréens sont des demandeurs d'asile qui n'ont pas d'autres choix que de quitter leur pays", explique-t-il.

Ils sont poussés sur les routes par le service militaire à durée indéterminée instauré par le régime en 2004, rappelle à l'AFP le journaliste Léonard Vincent, auteur du livre "Les Érythréens". "Les jeunes hommes et femmes sont envoyés sur des grands chantiers nationaux sans quasiment aucun salaire et ça peut durer jusqu'à 40-50 ans, à moins de devenir invalide avant", ajoute Léonard Vincent qui a aidé Biniam Simon à monter la radio.

Beaucoup de jeunes traversent donc subrepticement la frontière avec l'Éthiopie ou le Soudan. "Les militaires ont ordre de tirer pour tuer", rappelle Biniam Simon. Le régime exerce également des pressions sur les familles restées dans le pays : amendes, emprisonnement...

Pourtant, nombreux sont ceux qui souhaitent quand même risquer la traversée. Biniam Simon a été en contact avec des Érythréens à Tripoli, en Libye. "Ils attendent d’embarquer sur un bateau de la mort, déplore-t-il. Même s’ils savent ce qui vient d’arriver à Lampedusa."

Avec AFP