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Après des années de bataille législative, "Obamacare" entre en vigueur

Au 1er octobre, des millions d’Américains non-assurés pourront prétendre à une couverture maladie. Elle devient même obligatoire. Un progrès social pour certains, une mesure onéreuse et liberticide pour d’autres. Décryptage.

De promesse de campagne à mesure actée, la fameuse réforme de la santé de Barack Obama – plus connue sous le nom d’Obamacare – déchaîne les passions outre-Atlantique depuis plusieurs années. À compter du 1er octobre, les Américains verront enfin se concrétiser un texte hautement controversé qui a failli ne jamais aboutir. Cette date correspond au lancement officiel du “Marketplace”, un outil gouvernemental qui sert de centrale d’achat regroupant les assurances santé conformes aux desiderata du Affordable Care Act (ACA), le nom officiel d’Obamacare.

Vers une nouvelle bataille budgétaire?

Les adversaires républicains de l’Obamacare agitent la menace d’une nouvelle crise budgétaire afin d’obtenir l’abrogation in extremis de la réforme phare de la santé du président Barack Obama.

Deux dates butoirs se rapprochent à grande allure: le 1er octobre, début de la nouvelle année budgétaire, avant laquelle de nouveaux crédits doivent être votés ; et la mi-octobre, quand le Trésor américain aura atteint le "plafond" légal de la dette fédérale.

Dans chaque cas, le Congrès, divisé entre une Chambre des représentants contrôlée par les républicains et un Sénat à majorité démocrate, doit se mettre d'accord et voter un même texte, de façon à éviter la fermeture des services non essentiels de l'État fédéral (un "shutdown", déclenché pour la dernière fois en 1995) et un défaut de paiement.

Le président américain a déjà annoncé qu’il ne céderait pas à ce qu’il considère comme un "chantage"de la part des élus républicains.

"Je suis prêt à négocier avec (les républicains) sur le budget", a dit M. Obama. "Mais je ne créerai pas une habitude, un canevas selon lequel la confiance sur la capacité du président à payer ses dettes devient un atout pour négocier politiquement. C'est irresponsable".
 

Loin du système public à la française, le but du Marketplace est d’offrir un panel d’assurances privées encadrées par des réglementations publiques. Désormais, plus aucune compagnie ne pourra refuser d’assurer un client parce que son état de santé est jugé trop faible ou faire payer un supplément pour les femmes, comme c’est souvent le cas actuellement. Et l’enjeu est d’autant plus important que plusieurs dizaines de millions d’Américains, actuellement dépourvus d’assurance, doivent désormais souscrire une couverture santé sous peine de se voir infliger une amende de 95 dollars (70 euros) pour 2014 et plus les années suivantes. Pour les 85 % d’Américains déjà couverts, c’est l’occasion de passer à une assurance beaucoup moins coûteuse.

“Sans Obamacare mon assurance coûterait 600 $ par mois”

Mae est une jeune active américaine du Kansas. Pour elle, l’entrée en vigueur du Marketplace tombe à point nommé. “Je viens de fêter mes 26 ans, âge à partir duquel l’assurance maladie de nos parents ne peut plus nous prendre en charge. Alors cette année, cette date fatidique que représentait mon anniversaire a été une vraie source de stress et d’inquiétudes pour ma famille et moi [...] Après de longues recherches, nous avons trouvé que l’assurance la moins chère correspondant à mon profil m’aurait coûté 600 dollars par mois ! Une somme totalement inenvisageable…”, explique-t-elle à FRANCE 24. Finalement, Mae n’aura que 100 dollars à débourser chaque mois grâce au tout nouveau contrat conforme au ACA proposé par la compagnie d’assurance de son père.

Sauvée in extremis par l’entrée en vigueur du texte, Mae se dit aujourd’hui très reconnaissante envers l’administration Obama pour tous les efforts fournis afin de faire aboutir cette loi, malgré la détermination des républicains à la faire échouer. “J’ai eu un accident de voiture lorsque j’étais encore étudiante. Ne pas avoir d’assurance à l’époque m’aurait posé de graves problèmes”, physiques, psychiques… et financiers dans une Amérique où les prix des soins sont exorbitants.

Un nouveau système “quasi impossible à comprendre”

Mais si Mae s’en sort bien, à y regarder de plus près, beaucoup d’Américains sont mal informés sur ce qui les attend dès le 1er octobre. Selon un sondage datant de juin, 43 % des non-assurés ne seraient même pas au courant des démarches à entamer.

En outre, “le système devient encore plus compliqué, pratiquement impossible à comprendre, de par le fait que les cinquante États qui composent les États-Unis ont le choix de mettre la réforme en œuvre complètement ou seulement en partie”, explique à FRANCE 24 Nicholas Dungan, chercheur à l’Atlantic Council à Washington. En somme, pour lui, “Obamacare ne remplit absolument pas les critères d'assurance fondamentale et de disponibilité de services de santé pour tous les Américains que Barack Obama avait envisagés.”

Résultat : les mécontents sont nombreux à se retrouver dans les arguments avancés par les républicains, qui estiment que l’on entame les libertés fondamentales des Américains en leur imposant une sécurité sociale coûteuse pour le contribuable.

Les règlementations d’Obama “ont un prix” pour les assureurs

Genèse de l'Obamacare

Novembre 2008 : Obama élu pour son premier mandat après avoir mis la réforme de la santé au cœur de sa campagne

Mars 2010 : L’Affordable Care Act (ACA) est promulgué par la Maison Blanche

Novembre 2010 : Les démocrates perdent la Chambre des représentants lors des élections de mi-mandat mais gardent le Sénat. L’administration Obama doit désormais composer avec les républicains, qui ont la voie libre pour tenter de faire vaciller Obamacare.

Septembre 2011 : La Cour suprême des États-Unis est saisie par le gouvernement lui-même afin de couper court aux interrogations sur la constitutionnalité de cette loi.

Juin 2012 : La mesure phare du mandat de Barack Obama est validée par la Cour suprême.

Novembre 2012 : Obama élu pour un second mandat

1er octobre 2013 : Ouverture du "Marketplace"

2014 : L’assurance santé devient obligatoire

Mais ils ne sont pas les seuls détracteurs. Malgré les millions de nouveaux clients désormais contraints de s’assurer, toutes les compagnies d’assurance ne voient pas forcément Obamacare comme l’ouverture d’un nouveau marché fructueux. Certaines déplorent l’obligation de repenser leurs offres et de se conformer à des réglementations tarifaires strictes.

FRANCE 24 a contacté plusieurs compagnies d’assurance nationales, mais aucune n’a souhaité commenter la situation. Du côté de l’association America’s Health Insurance Plans (AHIP), qui a pour vocation de représenter les professionnels du secteur, on n’est guère plus expansif. Évitant soigneusement de prendre position pour ou contre la réforme du président, l’AHIP a toutefois souhaité pointer du doigt une nouvelle taxe et le plafond en termes de profits auquel les compagnies seront à présent soumises dans le cadre d’Obamacare.

Ces nouvelles réglementations, qu’a imposées Obama au nom d’un meilleur encadrement du système, “ont un prix”, assure l’AHIP, qui prévoit déjà que ses membres répercuteront ces nouvelles réglementations sur les prix des assurances des clients.

“Les assureurs ont à la fois résisté à l'Obamacare et essayé de le dicter lorsqu'il est devenu inévitable. La santé aux États-Unis représente un métier formidablement rentable et très peu efficace pour les clients. Quiconque essaie de mettre de l'ordre dans un système qui coûte deux fois plus cher qu'en France, tout en fournissant des résultats sensiblement moins bons, doit faire face à l'opposition des intervenants du business de santé qui risquent de voir éroder leurs profits”, analyse Nicholas Dungan. Et de conclure : “Le problème est, en fait, philosophique. Il concerne le rôle de l'État et sa relation avec le citoyen. Et visiblement, les Américains ne sont toujours pas parvenus à se mettre d'accord sur cette grande question.”