Il y a un quart de siècle, 337 Kurdes irakiens trouvaient refuge au camp militaire de Bourg-Lastic en Auvergne. Une exposition à Paris retrace l'itinéraire de ces rescapés du bombardement chimique d'Halabja commis sous Saddam Hussein en mars 1988.
Dans le hall de la mairie du Xe arrondissement à Paris, c'est le portrait de Shaban Osman, en tenue de policier, aux côtés de son père, qui accueille les visiteurs. L'exposition est organisée par la "Représentation du gouvernement régional du Kurdistan en Irak", le bras diplomatique de la région autonome des Kurdes d'Irak à Paris. Elle marque le 25e anniversaire du terrible massacre d'Halabja.
Cette petite ville du Kurdistan irakien fût le théâtre d'un bombardement à l'arme chimique décidé par le général Ali Hassan Al Majid, cousin de Saddam Hussein surnommé "Ali le chimique" du 16 au 19 mars 1988. Si la communauté internationale condamna cette attaque, le Conseil de sécurité de l'ONU n'émit pour sa part aucune résolution. La géopolitique du moment n'est pas à l'avantage des Kurdes à qui il ne reste plus qu'à prendre le chemin d'un exode massif.
Shaban et sa famille, comme des milliers de Kurdes, franchissent les montagnes et se réfugient en Turquie. À l'époque, Shaban a 9 ans et se souvient encore du camion sur lequel ils étaient juchés pour fuir les exactions de l'armée de Saddam Hussein. Il se souvient aussi du camp de réfugiés en Turquie avant de s'envoler lui et sa famille vers la France en août 1989, direction l'inconnu : l'aéroport de Clermont-Ferrand. Aujourd'hui, Shaban vit à Limoges, en Haute-Vienne. Il a réussi le concours des gardiens de la paix en 2002.
Une histoire d'intégration à la française
C'est son histoire, et aussi celle de Bewar, Jihad, ou Adila que l'exposition retrace. Photos, coupures de presse et textes célèbrent des histoires d'intégration à la française.
Rezan qui étudie le droit pénal financier est lui né en France, à peine un an après l'arrivée de ses parents en France. Après le camp militaire de Bourg-Lastic sur le plateau de Millevaches, sa famille s'installe à Lempdes-sur-Allagnon en Haute-Loire. Le climat et les autochtones sont plutôt rudes se souvient-il. Certains habitants côtoient des étrangers pour la première fois et font preuve "d'un peu de racisme". D'autres deviendront des amis pour la vie.
Durant l'inauguration de l'exposition, Kendal Nezan, le président de l'Institut kurde de Paris, rappelle l'aide apportée par la France aux Kurdes aux pires heures de leur histoire. Et rend hommage au rôle déterminant que joua Danielle Mitterrand pour "internationaliser la cause".
Un hommage à Danielle Mitterrand, la "mère des Kurdes"
En mars 1988, le massacre d'Halabja fait 5 000 morts et bouleverse les opinions publiques, mais pas les chancelleries. Saddam Hussein qui a achevé de combattre l'Iran pendant huit ans est encore l'ami des Occidentaux et des Soviétiques. Mais l'Anfal' [terme par lequel les Kurdes désigne la campagne de massacres qui a conduit à l'élimination de plus de 180 000 civils] émeut la femme du président François Mitterrand.
En mai 1989, Danielle Mitterrand se rend dans les camps de réfugiés en Turquie, et va se mobiliser pendant plus d'une décennie pour le droit des Kurdes à l'autodétermination. Non seulement elle permet à des familles de trouver refuge en Auvergne, mais elle parvient surtout à faire des "Peshmergas" (la résistance kurde) des alliés des Occidentaux.
En 1991, à la faveur de la première guerre du Golfe, le Kurdistan d'Irak est déclaré "no fly zone" par la coalition. L'armée irakienne se retire et à ce jour n'est jamais revenue. Aujourd'hui province autonome, le Kurdistan irakien ressemble à un État qui ne dit pas son nom, prospère et sûr. Pas un seul attentat n'a ensanglanté la province depuis 2003. Ailleurs en Irak, selon l'ONG Iraq Body Count, plus de 100 000 civils sont morts depuis l'invasion américaine du pays en 2003.
En novembre 2011, à l'annonce du décès de l'ex-première dame de France, le gouvernement régional du Kurdistan irakien (le KRG, initiateur de l'exposition) a décrété une journée de deuil national.
Pour Baudouin Koenig, commissaire de l'exposition, celle-ci "raconte une aventure humaine qui met en scène l'indignation, la solidarité, et une intégration réussie. 25 ans après, cette opération reste exemplaire sera formalisé en doctrine : l'ingérence humanitaire. Mais avant il a fallu tout inventer..."
Exposition Kurdes d'Auvergne, Français d'ailleurs, du 18 au 27 septembre 2013 dans le hall de la mairie du Xe arrondissement de Paris