![Chili : 40 ans après le putsch de Pinochet, "l’impossible réconciliation" Chili : 40 ans après le putsch de Pinochet, "l’impossible réconciliation"](/data/posts/2022/07/18/1658158499_Chili-40-ans-apres-le-putsch-de-Pinochet-l-impossible-reconciliation.jpg)
Quarante ans après le coup d'État qui a renversé Salvador Allende, le Chili reste divisé sur la dictature d'Augusto Pinochet. Les blessures encore à vif de la société et les attentes des nouvelles générations font obstacle à toute réconciliation.
Deux commémorations pour un seul évènement. L’image est suffisamment forte pour être relevée : à la veille du 40e anniversaire du coup d’État du général Augusto Pinochet, le gouvernement de centre droit du président Sebastian Piñera a assisté à une cérémonie au Palais présidentiel de la Moneda. Dans le même temps, la gauche réunie autour de l'ex-présidente socialiste Michelle Bachelet a préféré un autre lieu emblématique : le Musée de la Mémoire, qui rassemble notamment les archives et témoignages des quelque 3 000 morts et disparus sous le régime militaire.
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Ce choix reflète plus qu’un différend politique. "Les conditions n'étaient pas réunies pour une seule commémoration parce que ce pays est encore divisé", a estimé Isabel Allende, fille de l'ex-président et sénatrice du Parti socialiste.
Quarante ans après le coup d’État du 11 septembre 1973 mené par Augusto Pinochet, qui a renversé le président Salvador Allende et instauré une dictature militaire, les forces politiques peinent encore à trouver un terrain d’entente autour de cette page marquante de l’histoire du Chili. Si Piñera et Bachelet ont condamné avec véhémence les violations des droits de l'homme commises durant ce régime autocratique, ils ont affiché un désaccord total sur les conditions politiques qui ont conduit au putsch militaire.
Inévitable ?
Pour le président Piñera, cette "douloureuse fracture de notre démocratie n’a pas été quelque chose de soudain" mais fut "plutôt la conclusion prévisible, bien que pas nécessairement inévitable, d'une longue et douloureuse agonie des valeurs républicaines", a estimé le chef du gouvernement actuel, au sein duquel figurent trois anciens collaborateurs ou sympathisants déclarés de la dictature.
Ces propos ont largement fait réagir Michelle Bachelet : "Il n'est pas juste de parler du coup d'État comme d'une fatalité inévitable. Il n'est pas juste d'affirmer qu'il y avait une guerre civile en devenir, parce que pour assurer la continuité et soutenir la démocratie, il aurait fallu davantage de démocratie, pas un coup d'État ", a réagi l’ancienne présidente (2006-2010) et candidate à la présidentielle du 17 novembre.
Impunité
Le pays n’est, semble-t-il, pas prêt à la réconciliation. "C’est un terme qui semble impossible aujourd’hui au Chili en raison de l’impunité", affirme Franck Gaudichaud, enseignant-chercheur à l’université de Grenoble, auteur de "Chili 1970-1973 : Mille jours qui ébranlèrent le monde". Le passé semble encore bien lourd à porter pour ce pays : la justice chilienne doit encore traiter les dossiers de quelque 1 300 crimes commis durant les 17 ans de dictature. Environ 800 fonctionnaires civils et militaires ont été jugés ou condamnés, dont 70 purgent des peines de prison, presque tous dans des centres de détention militaires. Manuel Contreras, chef de la police politique chilienne pendant la dictature, purge lui une peine de 200 ans de prison. En revanche, Pinochet est mort dans son lit il y a sept ans, sans jamais avoir été jugé pour ses crimes.
"Pour les victimes et familles de victimes de la dictature, l’heure est à la justice et la vérité", précise Franck Gaudichaud, à l’image des pancartes brandies dimanche 8 septembre à Santiago par des dizaines de milliers de Chiliens, qui ont défilé pour la défense des droits de l'Homme. "Depuis 40 ans, ce défilé montre ce que nous ne nous lasserons pas de demander à savoir ce qui est advenu de nos détenus et de nos disparus, nous exigeons la justice et la vérité", a indiqué à l'AFP Lorena Pizarro, président du Groupe des familles de détenus et de disparus. "On ne peut pas fermer un cycle tant que l'on ne dit pas les choses que jusqu'à maintenant on n'a pas pu dire. Quarante ans sont passés et il y a beaucoup de choses qui commencent à peine à affleurer", a poursuivi pour sa part Isabel Allende, sénatrice et fille de l'ancien président renversé.
Bachelet vs. Matthei
Leur demande de vérité s’accompagne d’une ferveur pour le changement, comme le montre depuis plusieurs mois, le mouvement étudiant qui manifeste dans les rues en scandant "Elle va tomber, elle va tomber, l'éducation de Pinochet !". Les jeunes réclament une éducation publique, gratuite et de qualité. La société chilienne aspire aussi à une transformation du modèle économique ultra-libéral qui fait du Chili un des pays les plus développés d'Amérique latine mais très inégalitaire, ainsi que du système politique, jugé peu représentatif.
Et à deux mois de l’élection présidentielle du 17 novembre, cette volonté de tourner la page de l’héritage Pinochet est incarnée par la candidate socialiste Michelle Bachelet, grande favorite dans ce scrutin. Celle qui a été emprisonnée et torturée durant la dictature promet une profonde réforme politique pour faire sauter les verrous de la dictature, en appelant notamment à la mise en place d'une nouvelle Constitution pour supplanter celle imposée par Pinochet en 1980. Mais sa principale rivale, la candidate de droite Evelyn Matthei, s’y oppose : celle qui a évolué dans le cercle intime du dictateur Pinochet plaide en faveur du statu quo.