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"L’attaque de Maaloula vise à intimider les chrétiens de Syrie"

Au lendemain de l’attaque de rebelles islamistes contre Maaloula, un calme précaire régnait sur le village chrétien. La minorité chrétienne, souvent accusée de soutenir le régime de Bachar al-Assad, se retrouve prise entre deux feux. Éclairage.

À l'écart des violences jusqu'à présent, le village chrétien de Maaloula a été au cœur de violents combats mercredi 4 septembre. Des rebelles islamistes se sont emparés d'un poste militaire à l'entrée de la localité, située à 55 kilomètres au nord de la capitale Damas. Huit soldats ont été tués dans l’attaque. Maaloula, l'un des plus célèbres villages chrétiens de Syrie, est hautement symbolique : il est l'un des rares lieux au monde où est encore parlé l'araméen, la langue de Jésus-Christ.

Le village, qui abrite le tombeau de Sainte-Thècle, est un célèbre lieu de pèlerinage. Il doit sa renommée à ses refuges troglodytiques datant des premiers siècles du christianisme. Les premiers chrétiens, persécutés, s'y réfugiaient. Et c'est dans ces grottes que furent célébrées les premières messes chrétiennes. L'attaque des islamistes intervient quelques jours avant la fête de l'Exaltation de la Croix, célébrée chaque année le 14 septembre.

Les chrétiens, une minorité en Syrie, avaient déjà été visés le 15 août dernier, jour de l’Assomption, une fête chrétienne très célébrée par les communautés chrétiennes d’Orient. Des rebelles venus d’un village sunnite voisin avaient attaqué le barrage d’un village chrétien du Wadi al Nasara (vallée des chrétiens située au nord-ouest de Homs). Onze personnes avaient été tuées. Après les attaques de rebelles contre les villages alaouites du littoral, les chrétiens sont-ils devenus une nouvelle cible ?

Frédéric Pichon, historien et spécialiste de la Syrie, connaît bien Maaloula. Il y a vécu et a consacré à la ville une étude, "Maaloula XIXe - XXIe siècle. Du vieux avec du neuf. Histoire et identité d’un village chrétien de Syrie" (Presses de l’Ifpo). Joint par FRANCE 24, il revient sur les menaces dont font l'objet les chrétiens de Syrie.

Quelles sont les particularités de Maaloula ?

Frédéric Pichon : Maaloula est hautement symbolique car l’araméen, langue du Christ, y

est encore parlé. Contrairement à ce que l’on croit souvent, le village n’est pas à 100% chrétien : 20% à 30% des habitants sont sunnites. Des habitants m’avaient d’ailleurs raconté qu’au début de la révolte, un chef de clan sunnite avait même rassuré les religieux en leur disant qu’ils n’avaient rien à craindre des sunnites de la ville.

Il faut aussi savoir que la topologie des lieux est particulière. Le village est adossé à une falaise : l’armée régulière avait établi un barrage en contrebas, à l’entrée de la ville, et cela faisait déjà plus d’un an que des rebelles, venus de la ville de Yabroud - ville acquise à l’opposition - étaient positionnés à l’hôtel al-Safir en haut de la falaise. Par un accord tacite avec les militaires du régime, il n’y a eu aucun échange de tirs depuis qu’ils ont pris cette position. C’est une sorte d’accord basé sur l’honneur. Mais le village était donc déjà en quelque sorte pris entre deux feux.

Que s’est-il passé mercredi 4 septembre à Maaloula ? Qu’avez-vous pu apprendre par les habitants du village ?

F. P. : D’après des habitants que j’ai pu joindre mercredi, des rebelles se revendiquant du Front al-Nosra ont fait exploser le barrage à l’entrée de la ville avec une voiture piégée dans laquelle se trouvait un kamikaze. Des tirs venus des rebelles du plateau ont également visé le barrage. Les huit soldats de l’armée régulière qui tenaient le barrage ont été tués mais personne d’autre du village. Ensuite, ils sont entrés dans la localité et n’ont rencontré aucune résistance hormis quelques tirs sporadiques de la part des habitants. Ils seraient ensuite entrés dans une salle paroissiale qui jouxte l’église du village, sans entrer dans l’église elle-même. Ils y auraient brisé une croix et des statues de saints, ils auraient également forcé quelques paroissiens qui s’y trouvaient à crier "Allah Akbar". L’armée régulière aurait, semble-t-il, mis du temps avant d’intervenir et n’est finalement pas arrivée par la route. Des avions ont bombardé le barrage, endommageant quelques habitations au passage, puis sont repartis en fin de journée.

Depuis un calme précaire règne au village, mais les habitants craignent que les rebelles qui se trouvent toujours dans la partie haute de Maaloula, ne rouvrent le feu.

Comment comprendre cette action des rebelles alors qu’il n’y a pas eu une balle de tirée depuis un an ?

F. P. : C’est vrai que c’est surprenant. Pour moi, il y a un double message. Le premier serait de montrer que le régime de Bachar al-Assad, qui se targue d’être le protecteur des minorités, n’est plus apte à les protéger. Le second viserait à intimider tous les chrétiens de Syrie, que les rebelles accusent en général de soutenir le régime.

Après l’attaque contre les villages de Wadi al-Nassara et de Maaloula, peut-on dire que les chrétiens sont devenus une cible des rebelles ? Doit-on craindre d’autres attaques du genre ?

F. P. : Oui, je pense qu’on n’est pas à l’abri de nouvelles attaques. Mais il ne faut pas perdre de vue que c’est un conflit avant tout interne à l’islam, entre sunnites et alaouites [une branche issue du chiisme, NDLR]. Jusqu’ici, les chrétiens n’ont pas subit d’attaques ou de persécutions significatives contrairement aux alaouites.

*Frédéric Pichon est également l’auteur de "Voyage chez les chrétiens d’Orient" (Presses de la renaissance) et de "Géopolitique du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord" (éditions Puf).