En déclarant le 19 août que la poussée démographique devrait conduire à "repenser notre politique migratoire", Manuel Valls s’est attiré les foudres des ministres après un été déjà marqué par plusieurs incidents diplomatiques au sein du gouvernement.
La rentrée ne semble pas avoir freiné ses ardeurs estivales. Après son clash avec Christiane Taubira à propos de la future réforme pénale ou encore sa sortie remarquée sur l’interdiction du voile à l’université, Manuel Valls fait l’objet d’une nouvelle controverse. Lors du séminaire de rentrée du gouvernement, lundi 19 aôut, le ministre de l’Intérieur a pris la parole brièvement pour aborder les deux défis majeurs qui, selon lui, attendent la France. Le premier est relatif à la poussée démographique, notamment africaine, qui va "obliger d’ici à dix ans à repenser notre politique migratoire", a-t-il déclaré, précisant que la "question du regroupement familial pourrait être revue". Le second défi dont le ministre a fait état est de réussir à prouver que "l’islam est compatible avec la démocratie".
Ces propos, rapportés, le 19 août, par le quotidien "Libération", n’ont évidemment pas laissé de marbre. Dès la sortie du séminaire gouvernemental, certains ministres, sous couvert d’anonymat, ont ainsi dénoncé "un moment de consternation outrée", selon les mots d’un des participants. Pour d’autres en revanche, il ne s’agit de rien "de neuf, ni de choquant".
"Il ne fait que son travail"
Reste que le pavé a été jeté dans la marre et 24 heures après l’incident, les langues se délient. "Pour ma part, je ne crois pas que la mise en cause du regroupement familial soit une manière de faire vivre notre cadre républicain" a commenté Marisol Touraine dans l'émission "les 4 Vérités" de France 2. Pour la ministre de la Santé et des Affaires sociales, il est inenvisageable de toucher à la politique du regroupement familial. "Pour autant, des règles existent et elles doivent être appliquées. Il ne s'agit pas de dire que les mouvements de population peuvent se faire comme bon semble à chacun. La France, la République, a des règles, l'immigration doit être encadrée", a-t-elle également défendu.
Les partisans du ministre de l’Intérieur ne sont pas non plus en reste, à l’instar de Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture, qui estime "qu’il n’y a pas de problème Manuel Valls" au sein du gouvernement. "Il y a des solutions à apporter aux Français de manière collective sur tous les sujets dont chaque ministre est chargé", a déclaré le ministre de l’agriculture sur Europe 1. "Il y a un ministre de l'Intérieur qui est un homme politique, qui avait été candidat à la primaire (socialiste) et qui fait son travail et qui fait de la politique sur des sujets qui le concernent", a-t-il encore ajouté.
Le ministre préféré des Français
Un énième sujet de discorde qui écorne, une fois de plus, l’image de cohésion du gouvernement déjà bien entamée après les différents couacs survenus depuis 2012. Pourtant, la popularité de Manuel Valls résiste. À en croire le dernier sondage Ifop publié dans les colonnes du "JDD" le 18 août, le locataire de la place Beauvau est même le ministre préféré des Français. Avec 61% de personnes satisfaites de son action, il se positionne même largement devant Laurent Fabius (50 %) et Christiane Taubira (39 %).
Ses récentes prises de position ne semblent donc pas lui desservir. "Sa bonne popularité a été nourrie durant tout l’été par ses sorties, car tous les sujets sur lesquels il s’exprime sont populaires auprès d’une large majorité de Français", explique à FRANCE 24 Jérôme Fourquet, directeur du département opinion et stratégies d'entreprise à l’Ifop. L’interdiction du voile à l’université est une proposition soutenue par presque 80 % de la population, selon les chiffres de l’institut.
Popularité "en trompe l’œil"
Mais pour Thomas Guénolé, politologue et maître de conférence à Sciences-Po, également interrogé par FRANCE 24, "la cote de Manuel Valls est avant tout en trompe l’œil. Sa place de ministre favori, il la doit à une popularité ahurissante dans l’électorat de droite, c’est un socialiste de droite !", affirme-t-il, détaillant les positions plutôt libérales du ministre sur la sécurité, l’économie, et les questions budgétaires européennes.
Pour entretenir son statut de chouchou des Français, Manuel Valls a justement recourt à une méthode testée et approuvée par un célèbre ex-ministre de l’Intérieur de droite qui n’est autre que Nicolas Sarkozy. "Manuel Valls cannibalise littéralement le gouvernement en utilisant les vieilles techniques sarkozystes que sont : s’assurer une omniprésence médiatique, se permettre de transgresser les limites du politiquement correct imposées par son camp et maintenir un positionnement qui soit majoritaire dans l’opinion", explique Thomas Guénolé.
Son point faible : "l’individualisme"
Cependant, la méthode Sarkozy a ses limites. "Il ne faut pas perdre de vue que Manuel Valls occupe un poste particulièrement difficile. Rapidement, si les chiffres ne suivent pas ses discours, il va en faire les frais", estime Jérôme Fourquet.
En outre, en s’appropriant ouvertement les thématiques acquises à la droite, Manuel Valls devient "l’homme à abattre pour l’UMP". Et ce ne sont pas ses comparses au gouvernement qui viendront l’extirper du champ de mines qu’il devra traverser s’il souhaite atteindre les électeurs de droite avant les municipales de 2014. Ils ont même tout intérêt à l’envoyer se brûler les ailes, seul, sur les terres de droite afin d’avoir les mains libres pour poursuivre une politique populaire auprès de leur électorat de gauche.
"Les sondages qui affirment que Manuel Valls a la capacité actuellement de battre Nicolas Sarkozy dans un potentiel second tour à la présidentielle de 2017 ne me paraissent pas surprenants. Ce qui m’étonnerait, en revanche, c’est qu’il atteigne le premier tour. Il ne peut pas incarner le consensus à gauche", renchérit Thomas Guénolé. Car à force de s’opposer à ses collègues du gouvernement, le ministre se distingue mais s’isole, surtout. "Contrairement à un Montebourg qui s’est maladroitement frotté à l’exécutif, lui s’en prend à ses collègues ministres comme Christiane Taubira. On a vraiment l’impression qu’il fait fi du collectif et ne pense qu’à son plan de carrière. L’individualisme, qui était également caractéristique de Nicolas Sarkozy, est l’une des plus grandes faiblesses de Manuel Valls", conclut Thomas Guénolé.