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, envoyé spécial au Caire – Depuis la répression sanglante par l'armée des manifestations réclamant le retour du président Morsi, des partisans des deux camps s’affichent avec des armes à feu. Les témoignages recueillis sur place attestent d’une forme de radicalisation.

L’Égypte a vécu une nouvelle journée de violences, vendredi 16 août. Les partisans du président déchu Mohamed Morsi ont tenté d’installer un campement sur la place Ramsès au Caire. De l'autre côté ont émergé des "comités de quartiers" constitués de gros bras prêts à en découdre avec les Frères musulmans qui s’aventureraient sur leur territoire.

Le massacre de la place Rabaa al-Adawiya, où plus de 600 manifestants pro-Morsi sont tombés sous les tirs des forces de sécurité égyptienne, jeudi 15 août, n’a manifestement pas dissuadé les partisans de l’ancien président égyptien élu démocratiquement de redescendre massivement dans les rues. Près de 20 000 personnes ont ainsi convergé vendredi après-midi vers la place Ramsès malgré la présence massive des forces de sécurité dans les rues de la capitale égyptienne.

"On va essayer d’établir des sit-in dans toutes les places d’Égypte où l'on se sent en sécurité, il est hors de question de respecter le couvre-feu !", s’exclame Abdel, un manifestant islamiste brandissant un journal avec les photos horrifiantes des victimes du massacre de Rabaa al-Adawiya.

Répondre aux balles par les balles

Pourtant le sentiment d’insécurité s’insinue sournoisement, au fur et à mesure que le vent rabat des effluves de gaz lacrymogène vers la mosquée Al-Fath, centre névralgique du rassemblement pro-Morsi. Des affrontements entre policiers et manifestants ont éclaté près d’un commissariat situé à proximité de la place Ramsès.

Quelques palmiers et divers détritus sont aussitôt immolés afin de dégager une fumée censée contrer les effets nocifs du gaz lacrymogène. Une odeur âcre enveloppe progressivement la mosquée Al-Fath, dont la silhouette de l’immense minaret domine quelques tentes installées à la va-vite. Mohamed Salah, membre éminent des Frères musulmans, reste arc-bouté sur une stratégie d’occupation pacifique des places de la capitale égyptienne, malgré le bruit lointain des premiers tirs.

"On essaye de contenir la violence des plus jeunes et ce n’est évidemment pas facile. Si des violences éclatent, c’est parce que nous ne sommes pas nécessairement parvenus à contrôler tout le monde", explique Salah tandis que des manifestants blessés par balles sont transférés à l’intérieur de la mosquée Al-Fath. L’apparition fugace d’un milicien islamiste cagoulé et équipé d’une kalachnikov, un peu plus loin sur la place Ramsès, témoigne de la volonté de certains jeunes radicalisés de répondre aux balles par les balles.

"Un vrai massacre !"

À l’intérieur de la mosquée, la salle de prière se transforme rapidement en hôpital de campagne. Le nombre croissant de morts par balles fait montre de la réponse meurtrière des forces de sécurité. De nombreux infirmiers volontaires ont l’impression de revivre les bains de sang des jours précédents. En quelques heures, plus d'une dizaine de corps sans vie sont alignés dans un recoin de la mosquée.

"Ce qui se passe ici n’a rien à voir avec la politique, c’est un vrai massacre !", s’exclame Ahmed Hussein, un travailleur dans le textile venu donner un coup de main aux infirmiers. "Les médias locaux sont les premiers responsables de cette situation en encourageant les Égyptiens à haïr les Frères musulmans", estime cet homme de 40 ans.

La télévision d’État égyptienne diffuse les images des événements de la place Ramsès sous un bandeau "L’Égypte combat le terrorisme", phrase qui sert de justification au nouveau régime depuis le coup d’État militaire du 3 juillet.

"Habillés comme Al-Qaïda"

La haine des Frères musulmans atteint désormais des sommets dans plusieurs quartiers du Caire, où des "comités populaires" se sont spontanément formés afin d’appuyer le pouvoir dans sa chasse aux islamistes.

"Si les Frères musulmans ne trouvent personne dans un quartier, ils l’annexent aussitôt", explique Ahmed Nass Abou el-Enein devant un check-point improvisé dans le quartier de Beaulac. Le vendeur de pièces automobiles, bâti comme une armoire à glace, affirme avoir vu vendredi après-midi des islamistes "cagoulés et habillés comme Al-Qaïda" tirer de manière aléatoire en direction de son quartier depuis le pont du 15-Mai. Si El-Enein et ses compères ne disposent que de barres de fer, un groupe de jeunes en moto tourne de manière ostentatoire avec une kalachnikov en bandoulière afin de "protéger les boutiques du quartier".

Ces premiers civils armés et radicalisés, d'un côté comme de l'autre, constituent autant d’allumettes dangereusement proches de la poudrière égyptienne

Attention, les images de ce diaporama peuvent heurter les sensibilités :