, envoyée spéciale à Montreuil – Partisans d'IBK ou de Cissé, les Maliens de Montreuil, en région parisienne, se réjouissent de la désignation d'un président à la tête de leur pays secoué par 18 mois de crise politico-militaire. Reportage.
Adossés à une énorme benne à ordures, les vendeurs de maïs éventent les grills sur lesquels cuisent les épis, répandant l’odeur de céréale grillée dans toute la cour du foyer Bara à Montreuil. Cette petite ville de banlieue située dans l’est parisien est considérée, en termes de population, comme la deuxième cité malienne après Bamako, la capitale. Dans ce lieu de vie destiné aux travailleurs migrants maliens et surnommé "Bamako-sur-Seine", ce type de nourriture fait presque office d’institution, tant il est difficile à l’heure du déjeuner de dénicher quelqu’un occupé à autre chose qu’à en croquer. Autour des vendeurs, la discussion s’engage sur le nouveau président élu au Mali.
"Je suis très soulagé qu’Ibrahim Boubacar Keïta [dit "IBK"] soit élu. Le pays sort à peine d’une guerre armée, c’est le premier pays africain à organiser une élection moins de quatre ans après la fin d’une guerre", clame fièrement Madiaka Traoré, 62 ans.
Pourtant, alors même que le dépouillement des bulletins de vote n’est pas encore achevé, au soir du lundi 12 août, Soumaïla Cissé, candidat au second tour de l’élection présidentielle au Mali et rival d’IBK, a reconnu sa défaite, n’attendant pas la publication des résultats officiels. Mieux, il s’est rendu en personne au domicile de son rival pour le féliciter. "On n’avait jamais vu ça : un vaincu se déplacer chez un vainqueur pour le féliciter. D’habitude, ils font ça par téléphone", s'enthousiasme l’un des résidents.
"Pro-IBK comme pro-Cissé, on est tous contents"
Dans une ambiance calme, chaque Malien exprime sa joie, tout en indiquant ne pas être surpris. "Dès le premier tour, on le savait. IBK va être bon", confie Mamadou Traoré, le pouce levé. "Grâce à cette élection, le Mali va changer et aller vers le mieux. Les Maliens en France, en Allemagne, en Amérique : tout le monde est content. On va faire revenir au pays l’argent qui a été détourné ces dernières années", exulte quant à lui Kone Lassana, 66 ans.
Avec sa veste de jogging rouge et son pantalon vert, Sekou Simaga, 37 ans, est facilement repérable. Entouré de ses amis, et dans un grand éclat de rire, il improvise un déhanché : "On va danser après, explique-t-il, sous-entendant que la fête attendra l’annonce officielle des résultats. On a maintenant une démocratie. Si les Français n’avaient pas été là, on ne sait pas où on serait aujourd’hui. En tout cas, on en serait pas là."
Partisan de la première heure du nouveau président, Soukouna Sidy ne cache pas non plus sa joie. "IBK est le président qu’il nous fallait, il va faire le nécessaire pour le pays. Ici au foyer Bara, les gens étaient pour lui à 99 %," affirme ce grand gaillard de 43 ans, intarissable sur l’ancien Premier ministre, dont les affiches de campagne ornent la porte qui mène aux cuisines du foyer.
"Mais il n’a aucun programme !" le contredit immédiatement Dabo Adana. Représentant du "1 %" d’anti-IBK de la résidence, l'homme joue toutefois l’apaisement. "J’ai voté pour Cissé mais maintenant qu’il a reconnu avoir perdu, je félicite IBK. C’est mon président désormais, il n’y a pas de place pour la déception", confie cet habitué de 45 ans qui se rend au minimum trois fois par semaine rue Bara pour "rencontrer la communauté". "Oui, même si nous n’avons pas les mêmes opinions politiques, on fait partie de la même famille", poursuit Soukouna Sidy pendant qu’une vieille radio crache une musique africaine.
Priorité : "régler le problème touareg"
Cependant, malgré un enthousiasme non dissimulé, Madiaka Traoré, 62 ans, lui, se veut "réaliste" : "Il faut qu’IBK s’entoure d’une équipe de technocrates, car ce ne sera pas facile, surtout avec le Nord…"
Parmi les défis de taille qui attendent le nouveau président, la rébellion menée par les militants du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), opposés au gouvernement de Bamako, apparaît, selon les habitants du foyer, comme le dossier le plus urgent. "La première chose à faire, c’est régler le problème au Nord-Mali, déclare Soukouna Sidy. Nous sommes tous maliens, les rebelles du MNLA aussi, avant d’être azawadiens." Une affirmation qui ne manque pas de faire réagir Dabo Adana. "Tu vois quoi, toi, comme solution pour régler le problème des Touareg ? Dialoguer ou utiliser la force ?", interroge-t-il. "La force bien sûr ! interrompt un autre résident du foyer, après avoir intercepté la conversation. Il faut les dégager !". "On ne veut pas du MNLA car on ne veut pas de divisions," résume pour sa part Sidi Mohamed Diallo.
À l’écart de la discussion, deux jeunes Maliens s’affairent à leur atelier coiffure coincé entre les étals de fruits secs et une petite mosquée pouvant accueillir seulement 19 personnes. "C’est 5 euros la coupe," lance l’un des deux, peu intéressé par le résultat de l’élection présidentielle. "Non seulement mon candidat, Modibo Sidibé, n’a pas atteint le deuxième tour, mais en plus je n’ai pas eu ma carte électorale pour voter", lance-t-il avec une légère amertume.
En sortant de l’enceinte du foyer, qui sera détruit en 2015 pour cause de vétusté, les effluves de maïs grillé et le brouhaha des discussions s’estompent progressivement. Tout comme la conscience politique qui anime ses occupants. Non loin de ce "Bamako-sur-Seine", d’autres semblent en effet être passés à côté de la nouvelle de la veille, à l’image de Sidibé Yacouba, la quarantaine. Apercevant un camarade en train de poser en photo devant l’affiche d’IBK, il demande : "Qu’est-ce qui s’est passé ? Qui a gagné ?"