Après cinq années de moratoire sur l’exécution des peines capitales au Pakistan, le nouveau gouvernement a décrété la reprise des pendaisons. Quelque 8 000 prisonniers pakistanais croupissent dans les couloirs de la mort. Reportage à Lahore.
Cinq ans durant, au Pakistan, aucun condamné à mort ne fut conduit à l’échafaud. En 2008, le précédent gouvernement dominé par le Parti du peuple (PPP) avait adopté un décret présidentiel suspendant les exécutions de prisonniers. Mais en juin dernier, dans la foulée de la victoire de la Ligue musulmane aux législatives, le nouveau Premier ministre Nawaz Sharif a annoncé la levée du moratoire.
Après cinq années d’inactivité, les bourreaux s’apprêtent donc à reprendre du service. Sabir Masih travaille à la prison central de Lahore, mais c’est dans un parc du centre-ville qu’il accepte de nous rencontrer. "On pend les prisonniers sur un terrain à ciel ouvert comme celui-ci", témoigne-t-il pour la première fois devant une équipe de télévision.
"Lorsque j’ouvre la trappe, je ne pense à rien"
Sabir est bourreau. Un métier qu’il a appris, dit-il, très jeune auprès de son père, bourreau lui-aussi. Le jeune homme a plus de 200 pendaisons derrière lui. "Lorsque le prisonnier est amené à l’échafaud, je lui attache les jambes, je lui mets la corde autour du cou puis une cagoule sur la tête. Je lui dis que s’il a une dernière prière à faire qu’il ne la dise pas à haute voix mais dans son cœur, raconte-t-il froidement. Lorsque j’ouvre la trappe, je ne pense à rien, c’est juste mon travail. Je n’ai rien contre cette personne que je pends. Je n’ai pas de haine, c’est juste un travail."
En septembre, Sabir reprendra ses activités pour un salaire de 100 euros mensuel. Quelque 8 000 prisonniers pakistanais attendent dans les couloirs de la mort. "Je serai occupé tous les jours. Je peux pendre trois à quatre condamnés par jour, je suis déjà allé jusque six", assure-t-il.
Pour l’avocate Sarah Belal, la reprise des pendaisons dans un pays dont "la justice est corrompue et expéditive", s’apparente à un "bain de sang". "Au Pakistan, chaque année, 300 condamnations à mort sont prononcées, rappelle-t-elle. Au moment de l’indépendance du pays en 1947, seuls deux crimes étaient punis de la peine de mort. Désormais, il y en a 27, des crimes aussi bénins que la cybercriminalité ou celui aux contours aussi vagues que le blasphème. Et à cause de cela, le nombre des sentences capitales est en forte hausse au Pakistan."
Sarah Belal travaille bénévolement pour la défense du cas de Zulfiqar Ali, un condamné emblématique qui croupit depuis 15 ans dans les couloirs de la mort pour un double meurtre. À l’époque du procès, "il y a eu d’énormes négligences de la part de l’avocat commis d’office. Il n’a pas permis à Zulfiqar de livrer sa propre version des faits, celle de la légitime défense. Du coup, la cour l’a condamné à la peine capitale", déplore l’avocate.
"On a donné l’ordre de m’exécuter 22 fois"
Grâce à un téléphone mobile que ses co-détenus sont parvenus à cacher à l’intérieur de la prison, Zulfiqar parvient à entrer en contact avec l’extérieur, et surtout son frère avec qui il communique régulièrement. "On est à sept, dix, dans des petites cellules de 9m2… On a donné l’ordre de m’exécuter 22 fois, nous raconte Zulfiqar au téléphone. Deux ou trois fois, l’ordre d’annulation est parvenu seulement 24 heures avant ma pendaison. Le précédent gouvernement a suspendu les exécutions pendant cinq ans, mais nous, ici, étions sans cesse sous pression car nous ne savions pas combien de temps cela durerait. Avec la levée du moratoire, je ne peux vous expliquer dans quel état de détresse nous nous trouvons aujourd’hui."
La première pendaison depuis les cinq ans d’interruption est prévue à la fin de ce mois d’août. Cent autres exécutions suivront avant la fin de l’année. En septembre, Zulfiqar Ali aura épuisé tous les recours pour échapper à la peine capitale.