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Cécile Kyenge, ministre noire italienne en croisade contre le "racisme institutionnel"

Malgré les sempiternelles injures xénophobes dont elle fait l’objet, la seule ministre noire de l’histoire italienne entend combattre le "racisme institutionnel" qui gangrène le discours politique dans la péninsule.

On ne compte plus les insultes racistes dont elle est régulièrement la cible. "Guenon noire", "zouloue", "face nègre" constituent, entre autres amabilités, le sinistre chapelet de sobriquets que plusieurs responsables politiques italiens ont cru bon d'affubler Cécile Kyenge, ministre de l’Intégration, d’origine congolaise.

Dernière affabilité en date : celle proférée, samedi 13 juillet, par le sénateur Roberto Calderoli devant des militants de la Ligue du Nord, parti ouvertement anti-immigrés auquel il appartient. "J’aime les animaux [...] mais quand je vois les images de Kyenge, je ne peux m’empêcher de penser à des ressemblances avec un orang-outan, même si je ne dis pas qu’elle en soit un", s’est permis de lancer le délicat parlementaire.

A peine assénés, les propos ont rapidement provoqué une vague de réactions indignées dans les médias et les réseaux sociaux. Parmi la classe politique, de nombreuses voix se sont immédiatement élevées afin de dénoncer, à l’instar de la députée écologiste Laura Boldrini, "des paroles vulgaires et indignes des institutions". Plus retentissant, le président du Conseil, Enrico Letta, s’est lui-même fendu d’un communiqué, dimanche, dans lequel il exprime "sa pleine solidarité" à la ministre. "Les paroles rapportées aujourd’hui par la presse et attribuées au sénateur Calderoli à propos de Cécile Kyenge sont inacceptables et dépassent toutes les limites", écrit le chef du gouvernement italien.

"Une grande connerie", "un choix de merde"…

Ces déclarations ne sont toutefois pas la première goutte d’eau à faire déborder le vase des injures xénophobes. D’ordinaire circonscrits aux enceintes des stades de football - l’international italien d’origine ghanéenne Mario Balotelli en sait quelque chose -, les invectives ouvertement racistes font désormais florès dans l’arène politique. Dès la nomination, en avril dernier, de Cécile Kyenge à l’Intégration, ministère pourtant privé de portefeuille, nombreux ont été les élus de la Ligue du Nord, formation alliée au Peuple de la liberté de Silvio Berlusconi, à s’indigner publiquement de la présence de la première femme d’origine africaine dans un gouvernement italien.

"Qui l'a dit, qu'elle est italienne ? Sa nomination a été une grande connerie. La ministre Kyenge doit rester chez elle, au Congo. C'est une étrangère dans ma maison", avait promptement lâché à la radio Erminio Boso, un ancien sénateur de la Ligue du Nord. Encore moins obligeant, Mario Borghesio, député européen issu des mêmes rangs nordistes, avait commenté : "C'est un choix de merde, un éloge à l'incompétence."

Plus grave, en juin dernier, une conseillère d'arrondissement de la ville de Padoue, dans le Nord, a carrément incité à agresser sexuellement la politique italo-congolaise. "Mais pourquoi personne ne l'a jamais violée, juste pour lui faire comprendre ce que peut éprouver la victime de ce terrible délit ? Quelle honte !", s’était répandue l’élue locale sur sa page Facebook pour réagir à un article répertoriant les délits prétendument commis par des immigrés.

Car, au-delà de l’origine et la couleur de peau, c’est le projet politique de Cécile Kyenge qui a le don de hérisser le poil de la droite italienne radicale. Aujourd’hui en charge de l’Intégration, cette oculiste de métier entend modifier les règles de la citoyenneté, actuellement régentées par le droit du sang. Son ambition ? Introduire, malgré les résistances d’une grande partie des politiques italiens, le droit du sol qui permettrait aux enfants nés en Italie de parents étrangers d’obtenir de facto la nationalité italienne. Une volonté entêtante de bouger les lignes que cette élue du Parti démocrate (PD, centre gauche), aujourd’hui âgée de 49 ans, tient de sa propre expérience d’immigrée dans la péninsule.

De la médecine à l’engagement associatif

Née en 1964 dans une famille catholique aisée de la province du Katanga, dans le sud de la RD Congo, Cécile Kyenge décroche à 18 ans une bourse d’étude qui lui permet de rejoindre Rome, où elle s’inscrit à l’Université catholique de médecine du Sacré-Cœur. Parallèlement, la jeune Congolaise travaille en tant qu’aide à domicile, une activité peu rétribuée et mal considérée, que l’on réserve souvent aux étudiants venus d’Afrique.

Une fois son diplôme d’ophtalmologiste en poche, Cécile Kyenge se marie en 1994 avec un ingénieur de nationalité italienne. De cette union naîtront deux filles, Giulia et Maisha. Outre sa vie professionnelle, la "nouvelle Italienne", comme on appelle les étrangers ayant acquis la nationalité, mène de front une active carrière associative. Après avoir dirigé plusieurs structures œuvrant pour une meilleure intégration de la diaspora africaine en Italie, Cécile Kyenge est choisie par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour représenter sa campagne de sensibilisation sur les conditions de vie des étrangers en Italie.

Très vite attirée par les sirènes de la politique, elle se lance en 2004 aux cotés de la gauche démocrate à l’assaut de la ville de Modène, en Émilie-Romagne, où elle sera élue conseillère municipale avant de devenir, cinq ans plus tard, conseillère régionale. À l’issue des législatives de février 2013, elle décroche un siège à la Chambre des députés et se voit confier, un mois plus tard, le ministère de l’Intégration par le jeune et nouveau président du Conseil, Enrico Letta.

Combattre le "racisme institutionnel"

"C’est un pas décisif pour changer concrètement l’Italie", commente-t-elle à la suite de sa nomination. Dans un pays où certaines déclarations publiques et projets de loi ont favorisé l’émergence d’un racisme décomplexé, la désignation d’une "femme noire", comme elle aime à se définir elle-même, au sein de l’équipe dirigeante a valeur de symbole.

Mais Cécile Kyenge ne semble pas disposée à jouer les figurantes. Dès sa prise de fonction, elle a indiqué vouloir combattre le "racisme institutionnel" en faisant abroger, dans un premier temps, le délit d’immigration clandestine, si cher à la droite. Ainsi que la loi Bossi-Fini qui, depuis son adoption en 2002, instaure un système de quotas à l’entrée du territoire et facilite les expulsions des immigrés en situation irrégulière. Consciente de l’ampleur de sa tâche, Cécile Kyenge dit s’attendre à des "résistances". Un terme bien diplomatique pour qualifier les poussées de fièvre racistes qui risquent de gagner la Ligue du Nord.