, envoyée spéciale à Avignon – Comment survivre financièrement quand on est une petite troupe de théâtre qui joue dans le festival "Off" d'Avignon au milieu de milliers d'autres spectacles ? La troupe Nivatyep semble avoir trouvé une recette qui fonctionne.
Perdre le moins d’argent possible tout en tâchant de recueillir un maximum de reconnaissance artistique, c’est le défi que relèvent chaque année les troupes de théâtre qui se produisent dans le "Off" d’Avignon, le festival parallèle à la programmation officielle. Un pari quasi-impossible quand on sait que les locations de salles coûtent entre 7 000 et 15 000 euros pour les quatre semaines de festival et que le prix des appartements flambe durant cette période.
La plupart des troupes du "Off" repartent déficitaires d’Avignon. Elles ont certes engrangé une expérience inoubliable, forgée par des heures de tractage sous un soleil brûlant, par quatre semaines de représentation tous les soirs, et par la vie communautaire dans la troupe. Mais elles finissent le festival sur les rotules et les poches vides, voire avec un crédit sur le dos.
Il y a toutefois quelques troupes qui parviennent à tirer leur épingle du jeu. La compagnie Nivatyep, fondée par Juliette Peytavin, a trouvé sa voie. Amis depuis leur école d’acteurs à Cannes, l’Erac, les sept comédiens venus de Montpellier défendent une pièce, "Quelque chose de commun" qu’ils ont co-écrit ensemble, à cheval sur la danse et le théâtre.
Ils ont réuni 7 000 euros sur le site de financement participatif KissKissBankBank, grâce à la participation de 182 donateurs. Chaque semaine, deux personnes de la troupe sont chargées de communiquer avec cette "communauté de producteurs", qui, pour la plupart, avaient déjà vu le spectacle à Marseille ou à Paris. "Cela permet de faire de la communication en amont", assure Juliette Peytavin.
Théâtre mutualiste
Autre bon plan pour les troupes du "Off" : être programmé par le théâtre de l’Adresse, théâtre mutualiste aidé par la région Languedoc-Roussillon. La location de la salle n'y coûte que 4 700 euros pour deux heures. En contrepartie, toutes les troupes doivent mettre la main à la pâte : aider chaque jour à la billetterie, à la buvette, à la préparation des repas, au nettoyage des lieux communs, à l’installation et au rangement des décors...
Les recettes du théâtre sont ensuite redistribuées entre les dix troupes et les techniciens du théâtre. Qu’un spectacle ait eu plus de public qu’un autre, qu’importe, tout le monde reçoit la même somme d'argent. L’année dernière, les quarante comédiens avaient pu repartir avec l’équivalent d’un SMIC (salaire minimum, un peu plus de 1000 euros, NDLR). Une exception dans le dur monde du "Off", où seuls 10% des artistes sont payés.
"La mutualisation, c’est une solution aux conditions de travail difficiles en temps de crise. La solidarité paie !", se félicite Philippe Baron, co-directeur du théâtre de l’Adresse. "Ce système là, Ariane Mnouchkine l’a inventé trente ans avant nous, et ça marche toujours."
Pour la compagnie Nivatyep, Avignon va marquer un tournant. Jusqu’ici, leur spectacle "Quelque chose de commun" n’avait rapporté que 58 euros à chaque comédien, après une vingtaine de représentations à Marseille et à Paris. Avec le festival, les recettes, tirées de la vente de billets et de la buvette, les comédiens vont pouvoir être payés, tandis que les 7 000 euros récoltés sur KissKissBankBank leur ont permis de couvrir les frais d’hébergement et de location du théâtre. Une subvention Spedidam (fonds de droits des artistes) leur permet de financer la communication (site internet, affiches, tracts, dossiers…).
Au final, pour un spectacle qui ne repose ni sur un auteur connu, ni sur un metteur en scène ou un acteur en vue, "Quelque chose de commun" espère pouvoir repartir d’Avignon la tête haute. Il ne reste plus qu’à trouver quelques programmateurs enthousiastes par cette écriture fraîche et dansante, pour remplir de dates et d’argent les années qui viennent.