Sortis victorieux des législatives de 2011 et de la présidentielle de 2012, les islamistes égyptiens sont aujourd’hui divisés. En cause : le soutien des salafistes d'Al-Nour au gouvernement mis en place après la destitution de Morsi.
Le coup d’État contre le président égyptien Mohamed Morsi, le 3 juillet, divise l’Égypte… et divise le camp des islamistes. Pour tenter d’apaiser les tensions et réconcilier les courants politiques dans le pays, le gouvernement de transition a tendu la main au camp islamiste. Alors que les Frères musulmans, du rang desquels le chef d'État destitué est issu, ont catégoriquement refusé et décidé de boycotter les négociations, le parti salafiste Al-Nour y a répondu favorablement.
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Cette décision, nécessaire selon les leaders du mouvement, n’est pas vraiment du goût de tous les militants islamistes, qui lui reprochent un manque de solidarité. "Le parti Al-Nour a vendu la cause", dénonce un militant du Parti de la liberté et de la justice (PLJ), vitrine politique des Frères musulmans, interrogé par les envoyés spéciaux de FRANCE 24 à Alexandrie. "On a du mal à croire que nos frères dans le projet islamiste aillent s’allier avec les militaires contre le président", poursuit-il.
Retour des vieilles rivalités
À l’été 2012 en effet, au moment où l’Égypte se préparait à vivre sa première élection présidentielle démocratique, Al-Nour s’était au dernier moment allié à la confrérie islamiste. Une alliance de circonstance : dès sa création au lendemain de la révolution, en 2011, le parti salafiste s’est posé en rival des Frères musulmans, allant jusqu’à soutenir un islamiste dissident de la confrérie pour le premier tour de la présidentielle en mai 2012 face à Mohamed Morsi.
Le PLJ et Al-Nour se sont ensuite entendus en vue du second tour. "Le succès de Mohamed Morsi s’est fait grâce à Dieu et au soutien du parti Al-Nour", commentait, après la victoire des Frères musulmans, l’islamiste Ahmed Abdel Ghafour, numéro un du parti salafiste. "Après l’élection, il y a eu des réunions entre nous et M. Morsi pour établir une coopération complète [entre nos deux formations politiques, NDLR] en vue des prochaines étapes".
Mais la lune de miel entre les deux mouvances islamistes a rapidement tourné à l’aigre. Les ministères convoités par Al-Nour lui sont passés sous le nez, le parti, qui a obtenu 29 % des suffrages aux élections législatives de 2011, a vite déchanté de ne pas se voir intégré dans le jeu politique égyptien. Six mois après l’élection, en janvier 2013, Al-Nour prend officiellement ses distances avec les Frères musulmans, qu’ils accusent de monopoliser le pouvoir.
Le parti salafiste ne revient sur le devant de la scène politique qu’au moment de la destitution de Mohamed Morsi, en se démarquant de l’ensemble des formations islamistes qui exigent le retour du Frère musulman à la tête de l’Égypte. Un choix stratégique, selon Al-Nour. "Nous avons réagi par patriotisme et par obligation religieuse, nous avons réagi pour sauver l’Égypte", justifie Jalal Morah, secrétaire général du parti, avant de fustiger les autres formations islamistes : "Nous avons consacré beaucoup de temps à essayer d’engager une réconciliation. Mais les autres partis n’ont pas répondu à notre appel".
Opportunisme ou pragmatisme ?
Une réaction qu’une partie de ses militants entend, à l’instar d'Amr el-Nomani, interrogé par FRANCE 24 : "Le parti a voulu rester dans le débat politique pour qu’un mouvement du courant islamiste soit présent. Après le départ des Frères musulmans de la scène politique, si Al-Nour avait fait la même chose [boycotter le gouvernement de transition, NDLR], les jeunes islamistes se seraient retrouvés sans leader. Tout le monde aurait travaillé dans son coin et ça n’aurait mené à rien", estime le jeune homme.
Mais une large part des militants a bien du mal à accepter la position de leur parti, qu’ils jugent opportuniste. "Le parti Al-Nour est divisé, analyse Marsi Feki, chercheur en géopolitique à Pars-VIII. D’un côté, les chefs de file du courant, pragmatiques, voudraient s’entendre avec le régime de transition. De l’autre, la base électorale du parti salafiste, proche du mouvement des Frères musulmans, s’est fortement mobilisée dans les rues égyptiennes pour contester la destitution de Mohamed Morsi."
Al-Nour ne souhaite aujourd’hui qu’une chose : peser de tout son poids sur le choix du prochain gouvernement. Le parti s’est ainsi récemment opposé à la nomination de deux hommes, le social-démocrate Ziad Bahaa Eldin et la figure de proue du camp laïc Mohamed el-Baradei, pressentis un temps pour devenir respectivement Premier ministre et vice-président du gouvernement de transition.