Si le Premier ministre turc, Recep Erdogan, a réussi sa démonstration de force, dimanche, en rassemblant plus de 100 000 partisans, sa gestion de la crise semble de plus en plus critiquée, au sein même de son parti, estiment les observateurs.
Lors du rassemblement du Parti de la justice et du développement (AKP, au pouvoir), à Istanbul, dimanche 16 juin, le chef du gouvernement Recep Tayyip Erdogan a opté pour un discours musclé et accusateur. Pendant près de deux heures, il a fustigé les médias internationaux complices du mouvement de contestation qui secoue le pays depuis le 31 mai, tout en qualifiant les manifestants de "terroristes" et de "pillards qui détruisent le pays".
Du haut de sa tribune, le Premier ministre a également justifié l'évacuation des manifestants présents dans le parc Gezi, samedi, en affirmant qu'il était de son "devoir" de "nettoyer" la place Taksim d'Istanbul. "J’ai dit que nous étions arrivés à la fin. Que c’était devenu insupportable", a-t-il ajouté devant les quelque 100 000 partisans de l'AKP.
Avec ce rassemblement, le plus important depuis le début de la crise en Turquie le 31 mai, "Erdogan a réalisé une démonstration de force en montrant ses biceps", estime Cenzig Aktar, professeur de sciences politique à l'université d'Istanbul, qui affirme néanmoins que certains sympathisants ont été payés 10 euros la journée pour assister au meeting.
"Le chef du gouvernement a ravivé toutes les tensions"
Les propos virulents et intransigeants du chef du gouvernement suscitent beaucoup d'inquiétude auprès des observateurs. "Il veut régler cette crise en dressant ses partisans contre les protestataires", estime Ali Kazancigil, auteur de "La Turquie, les idées reçues". "C'est une voie extrêmement risquée", ajoute le politologue.
D'autant qu'Erdogan oscille entre "une attitude conciliante et inflexible", note pour sa part Deniz Onal, chercheuse au Centre français d'études prospectives et d'information internationale (CEPII), qui rappelle que le Premier ministre s'était engagé, le 13 juin, à respecter la décision du tribunal d’Istanbul, concernant la suspension des travaux au parc Gezi. "Le compromis d'Erdogan impliquait le délitement du mouvement contestataire", explique l'économiste franco-turque. Mais en maintenant ses meetings samedi à Ankara et dimanche à Istanbul, et en organisant le nettoyage du parc Gezi, "le chef du gouvernement a ravivé toutes les tensions", ajoute-t-elle.
Désormais, Erdogan ne va certainement pas reculer, pressent Ali Kazancigil. "Mais on ne sait pas comment les choses peuvent évoluer", a-t-il poursuivi. Selon un sondage publié lundi par le journal islamo-conservateur "Today's Zaman", 62,9 % des Turcs souhaitent la préservation du parc comme un espace vert, alors que 23,3 % soutiennent la reconstruction sur ce terrain d'une ancienne caserne ottomane, pouvant accueillir un centre commercial et un centre culturel.
49,9 % des Turcs jugent le gouvernement plus autoritaire
À force de souffler le chaud et le froid, le Premier ministre, dont le parti islamo-conservateur est arrivé au pouvoir en 2002, se retrouve de plus en plus isolé, constate Cenzig Aktar. "Il existe un ras-le-bol généralisé parmi ses troupes, dont certains contestent son pouvoir", poursuit le professeur, pour qui la majorité des slogans scandés dans les rassemblements place Taksim visent "spécifiquement Erdogan, et non son parti".
"Cet épisode va laisser des traces dans le pays, pense Ali Kazancigil. Il n'est pas exclu que son parti paie la note." Selon l'enquête réalisée dans toute la Turquie entre le 3 et le 12 juin pour ce quotidien réputé proche de la confrérie du chef religieux Fethullah Gülen, critique de Erdogan, quelque 49,9 % des personnes interrogées estiment que le gouvernement devient plus autoritaire. Mais, toujours selon ce sondage, l'AKP resterait en tête des élections si des législatives étaient organisées ce dimanche, avec 35,3 % des intentions de vote, devant le Parti républicain du peuple (CHP, pro-laïcité), à 22,7 %.