
À Téhéran samedi soir, cris de joie et revendications politiques ont retenti après la victoire d'Hassan Rohani à la tête du pays. La jeunesse réclame la libération des leaders du Mouvement vert, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi.
"Ils ont volé notre vote, ils le paient avec les intérêts !", pouvait-on entendre, samedi 15 juin au soir, dans les rues du centre et du nord de Téhéran. Le vol fait référence aux soupçons de fraudes sur l’élection présidentielle de 2009 qui a reconduit Mahmoud Ahmadinejad à la tête du pays. Un épisode que les manifestants n’ont pas pardonné au précédent pouvoir en place.
La journée de samedi a donc fait office de revanche pour la jeunesse verte qui a massivement voté contre les conservateurs. Et cette fois-ci, la soirée électorale fut magique. Une nuit de liberté totale durant laquelle les cris de joie se sont mêlés aux revendications politiques sans faire d’incident.
Les "martyrs" des manifestations violemment réprimées après l’élection de Mahmoud Ahmadinejad il y a quatre ans restent également dans les mémoires, et la foule hier soir a tenu à leur rendre hommage.
D’abord Neda Agha-Soltan, cette jeune manifestante iranienne tuée par balle le 20 juin 2009, dont la mort avait fait le tour du monde par Youtube. On a entendu son nom sur des vidéos diffusées cette nuit sur les réseaux sociaux.
"C'est le printemps de la liberté, Neda tu es à nos côtés"
"Sohrab ! Réveille-toi ! Nous avons récupéré ta voix !". Sur cet autre enregistrement c’est à Sohrab Arabi que la jeunesse dédie son vote. Le corps de ce jeune Iranien de 19 ans, disparu le 15 juin 2009 lors d’une manifestation à Téhéran, avait été restitué à sa famille après un mois d’intenses recherches de la part de ses proches.
Sur d’autres clichés, profitant d’un moment de liberté sous l’œil bienveillant des forces de l’ordre, les électeurs de Rohani ont allumé des bougies à la mémoire des victimes de la répression, un sujet qui n’avait pas droit de cité jusqu’à hier soir.
Allant plus loin même, sur cette vidéo tournée sur la place Vanak dans le centre de Téhéran, les manifestants applaudissent et chantent : "Le Mouvement vert n’est pas mort, il a porté Rohani !" (à 0’37 minutes). Ils demandent la libération des candidats malheureux de la présidentielle de 2009, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi (à 0’55 minutes). Les deux figures de la politique iranienne ayant été écartées de la vie politique, se trouvent toujours en résidence surveillée depuis février 2011.
Puis les manifestants reprennent avec nostalgie "Saramad Zemestan", un chant révolutionnaire utilisé par Moussavi en 2009 dans son clip de campagne (à 1’15 minutes). Avant d’enchaîner sur un hymne nationaliste à la gloire de l’Iran (à 3’15 minutes) qui fait partie du répertoire iranien classique. Un chant peu entendu dans les manifestations il y a quatre ans, preuve que cette fois la jeunesse satisfaite a voulu crier sa fierté nationale.
Pour cette jeunesse verte, qui vit sous la pression politique et économique depuis quatre ans, la victoire de Rohani était espérée mais inattendue. "Parfois la joie n’est pas seulement dans les rêves", écrit un Internaute iranien présent samedi soir dans les manifestations à Téhéran.
Sur les réseaux sociaux, de nombreux supporters de Rohani ont remplacé ce matin leur photo de profil par ce poster sur lequel est inscrit "On a gagné !" aux couleurs du Mouvement vert et du violet de la campagne de Rohani.
"Nous sommes redevenus verts et malgré nos blessures, nous nous sommes mis à sourire de nouveau. Nous avons perdu une main certes, mais avec celle qui nous reste nous avons su former une chaîne humaine et avons redonné vie à cette ville endormie", écrit sur son statut Facebook la jeune poétesse Hila Sedighi, qui s’était rendue célèbre après avoir critiqué dans ses vers la répression de 2009 dont avaient été victimes ses camarades de faculté.
Sur les réseaux sociaux, le débat a fait rage toute la nuit. Telle cette passe d’armes entre un idéaliste et un réaliste. "Dans les rues de Téhéran, c’est un raz-de-marée et ils crient : libérez les prisonniers politiques !" écrit un jeune Iranien. Non sans amertume, un autre lui répond : "Les femmes auront droit à des manteaux plus serrées et après ? (…) en ce qui concerne le nucléaire, le militaire cela n’a rien à voir avec le président, ces domaines appartiennent au Guide. Tu crois que les raffineries vont être exclues des sanctions ? Tu crois qu’on va de nouveau acheter notre pétrole ? Tu crois vraiment que je pourrais aller où je veux avec mon passeport iranien ?".
La jeunesse impatiente qui a voté vendredi 14 juin 2013 pour le nouveau président Hassan Rohani a placé beaucoup d’espoir en lui. Mais il ne faudrait pas oublier que Rohani n’est pas complètement réformateur, c’est un conservateur modéré, qui aura peu de marge de manœuvre face au Guide suprême Ali Kahmenei, véritable chef du pouvoir iranien.