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"La pornographie ne devrait pas avoir le monopole du sexe"

Entre le glaçant thriller et la brûlante romance homosexuelle, "L'Inconnu du lac" a bénéficié d'un accueil enthousiaste lors du Festival de Cannes. À l'occasion de sa sortie dans les salles françaises, rencontre avec son réalisateur, Alain Guiraudie.

Un mois avant sa sortie dans les salles françaises ce mercredi 12 juin, "L’Inconnu du lac" d’Alain Guiraudie a bénéficié à Cannes d’un accueil plus que chaleureux de la part des festivaliers, ainsi que du jury de la section "Un certain regard" qui lui a décerné le prix de la mise en scène. Entre thriller glaçant et brûlante romance, le quatrième long métrage du cinéaste français narre les pérégrinations d’un jeune homosexuel autour d’un lac du sud de la France, lieu de drague gay où il va s’éprendre d’un homme aussi mystérieux que malveillant.

Bien que baigné par la lumière du soleil provençal, "L’Inconnu du lac" est un film sombre sur le désir et la transgression, dont les scènes de sexe, très crues pour certaines, lui ont valu d’être interdit au moins de 16 ans. Avant son arrivée sur les grands écrans, le film s’est déjà attiré les foudres de deux municipalités, Versailles et Saint-Cloud, qui, sous la pression de certains habitants, ont fait retirer de l’espace public l’affiche sur laquelle deux hommes s’embrassent.

Pour FRANCE 24, le réalisateur Alain Guiraudie évoque son travail, ses influences et ses projets. Entretien.

"L'Inconnu du lac" propose une vision assez noire de la communauté homosexuelle, qui se retrouve en un endroit où on s'adonne aux plaisirs charnels mais où sont également commis des meurtres. Est-ce une volonté de décrire un milieu contraint à la marginalité ?

Alain Guiraudie : J’ai essayé de le faire sur un lieu de drague hétérosexuel, mais cela ne marchait pas. L’idée était de parler d’un monde que je connais, qui m’est assez familier. Faire du cinéma, pour moi, c’est aussi mêler mon expérience personnelle, mon intime, avec quelque chose de plus collectif, avec quelque chose qui relève de la grande aventure du monde.

Le monde homosexuel a été un fer de lance de la libération sexuelle. Je pensais avoir découvert quelque chose dans ce monde-là, dans cette liberté, dans ce monde de plaisir, une sexualité détachée de tous les engagements qu’on pouvait trouver dans l’hétérosexualité. Dans ce monde, le risque d’enfant n’existe pas. C’est un monde, où on exerce beaucoup moins de pression. Je pensais qu’il existait une utopie sexuelle parce que, pour moi, le sexe doit être quelque chose de très joyeux.

Et puis, finalement, je me suis rendu compte petit à petit que cette libération sexuelle avait sombré dans l’obligation de jouir, dans la recherche du plaisir à tout crin, dans le consumérisme. Cela concerne tout le monde, mais c’est plus intense dans le monde homosexuel. Où cela nous mène-t-il cette recherche du plaisir ? C’est la question qui hante le film. Je ne suis pas sûr que cela nous mène vers des années de gloire…

Le personnage principal ressent le besoin de sortir de la marge, de la clandestinité, de vivre un amour durable, une vie de couple stable. Faut-il y voir un écho aux débats sur le mariage pour tous et aux revendications des homosexuels de disposer des mêmes droits que les couples hétérosexuels ?

A. G. : Pour moi, le mariage est une vieille connerie judéo-chrétienne. Mais cela ne signifie pas que j’allais m’y opposer. Je me suis même un peu engagé, sans prendre position publiquement, quand j’ai vu les réactions outrées que ce projet de loi suscitait. C’est cela qui m’a fait réagir. Je ne m’attendais pas à une telle levée de boucliers. Je me suis mobilisé quand j’ai vu ce qui se passait en face.

Avec votre film présenté à Cannes, puis "La Vie d'Adèle" d’Abdelattif Kechiche, mais aussi "Les Rencontres d’après minuit" de Yann Gonzales et "Les garçons et Guillaume, à table !" de Guillaume Gallienne, certains parlent d'un renouveau du cinéma "queer" en France. Pensez-vous vous inscrire dans ce mouvement ?

A. G. : Quand on choisit de faire un film avec uniquement des hommes nus au bord d’un lac qui, en plus, font l’amour entre eux, on ne peut pas refuser l’étiquette homosexuelle. Avec ce film, j’affiche, en outre, une ambition par rapport au traitement du sexe. Je voulais reconnecter le sexe non simulé avec la parole, le mettre dans l’histoire… La pornographie ne devrait pas avoir le monopole du sexe.

Effectivement, je me reconnais dans le travail d’Abdelattif Kechiche, et dans celui de Yann Gonzales que j’ai trouvé extrêmement touchant. Mais si on parle d’un renouveau "queer" francais, cela veut dire qu’un cinéma "queer" existait déjà. Or je n’ai pas la sensation qu’il ait encore émergé. Le sida, par exemple, on n’en a pas beaucoup parlé. Bien que ce ne soit pas une problématique purement homosexuelle, c’est tout de même la communauté homo qui a pris en charge le sujet. Moi, je veux toujours afficher ma singularité, mais aussi "universaliser" le propos.

Que pensez-vous de la représentation des homosexuels dans le cinéma français ou d’ailleurs ?

A. G : J’ai l’impression que l’homosexualité n’est plus vraiment un sujet sociologique en tant que tel. Le cinéma commence tout juste à aller au-delà de cette représentation parce que, finalement, en France, il n’y a pas eu tant de réalisateurs homosexuels que cela. Il est temps qu’on sorte de "Pédale Douce" et de "La Cage aux Folles". S’il y avait eu un réalisateur homosexuel au sein de la Nouvelle Vague française, si on avait eu un Rainer Werner Fassbinder ou un Pier Paolo Pasolini, peut-être les choses auraient-elles changé plus tôt.

Des critiques américains ont pour la plupart qualifié votre film d'hitchcockien. Hitchcock fait-il partie de vos influences ? Quels cinéastes vous inspirent ?

A. G. : Hitchcock fait partie du fonds culturel commun. Même si je ne m’y réfère pas directement, c’est un réalisateur dont je vois et revois les films régulièrement. Quand je fais des films, je ne pense pas forcément à lui mais, nécessairement, ça y est quelque part.

Parmi les cinéastes qui ont vraiment compté pour moi, figurent Luis Buñuel et Frederico Fellini, quand j’étais adolescent. Plus tard, Nanni Moretti et Pedro Almodovar ont été des révélations pour moi. Leurs films étaient exactement ce que j’avais envie de voir, cela me parlait. Maintenant, je regarde avec beaucoup d’attention les films des frères Larrieu et de Bruno Dumont - même si j’ai des réserves sur ce qu’il fait, c’est du cinéma qui me titille.

Un mot sur votre prochain film…

A. G. : C’est évident qu’après "L’Inconnu du lac" les choses ne sont plus pareilles. J’ai creusé un peu plus profond avec ce film, si bien que le projet que j’ai écrit avant doit être envisagé autrement en termes d’ambition. L’histoire porte sur un jeune manager d’un grand groupe industriel qui rejoint la lutte menée par des ouvriers soucieux de sauver leur laiterie dans le fin fond de la France. Il le fait par conviction politique mais aussi parce qu’il tombe amoureux d’un mec sur place, un mec un peu givré.