Sans surprise, les réseaux sociaux ont joué un rôle crucial dès le début du mouvement de contestation en Turquie. Le Premier ministre islamo-conservateur turc l'a compris et a eu des propos très critiques contre la "menace" Twitter.
Des révolutions arabes à Occupy Wall Street, le rôle des médias sociaux dans l’organisation et la diffusion des mobilisations ne s'est jamais démenti : difficile aujourd'hui d'imaginer un mouvement citoyen sans Twitter ou Facebook. Les manifestations qui se déroulent en Turquie depuis le 31 mai s’ajoutent à cette liste qui ne cesse de s’allonger et fait parfois trembler les gouvernements.
Dimanche 2 juin, au cours d’une interview télévisée, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan l’a dit sans détour : "La menace, aujourd’hui, s’appelle Twitter. C’est là que se répandent les plus gros mensonges. Les réseaux sociaux sont la pire menace pour la société". Ce positionnement pourrait apparaître comme paradoxal quand on sait que le Premier ministre turc dispose d’une page Facebook "likée" par plus de 2 millions de personnes et que son compte Twitter est suivi par plus de 2,7 millions de personnes. Mais s’il est très suivi, on remarque aussi qu’il ne suit absolument personne sur le site de microblogging, là où la culture web veut que l’on parle mais aussi que l’on écoute en suivant d’autres personnes. Lui s’exprime - son équipe tweete à sa place - mais jamais sous forme de réponse à d’autres utilisateurs.
L'usage que les Turcs font des réseaux sociaux est, lui, bien différent de celui de leur Premier ministre. La Turquie, qui compte 75 millions d’habitants, est un pays très connecté. Plus de la moitié de la population a accès à Internet et, selon un rapport du Pew Research Center publié en décembre 2012, 35 % des Turcs utilisent les plateformes sociales de type Facebook, Twitter, Tumblr ou Instagram. Selon une étude publiée samedi par deux doctorants de la New York University (NYU), l’usage de Twitter par les Turcs depuis le début des manifestations a été "phénoménal". Pour suivre les événements, plusieurs mots-clés ont été utilisés sur le réseau de microblogging : #direngeziparki, #occupygezi et #geziparki.
Tweets de Turcs
Dans la nuit du vendredi 31 mai au samedi 1er juin, alors qu’avaient lieu les premiers affrontements violents dans le centre d’Istanbul, des milliers de tweets étaient envoyés chaque minute, même aux heures les plus avancées de la nuit. Ces statistiques auraient pu être encore plus élevées si les réseaux mobiles 3G n’avaient pas été très vite saturés dans le centre d’Istanbul, autour de la place Taksim.
Selon les deux étudiants-chercheurs de NYU, l’utilisation de Twitter par les Turcs au cours de ces derniers jours est "unique", comparée à d’autres mouvements de contestation. Dans la nuit de vendredi à samedi, dès les premiers débordements, 90 % des tweets géolocalisés à propos des événements en Turquie étaient envoyés depuis le territoire turc - dont environ 88 % en langue turque -, et 50 % de ces tweets étaient envoyés depuis Istanbul même. Par comparaison, au plus fort de la révolution égyptienne, seuls 30 % des tweets envoyés provenaient d’utilisateurs effectivement présents sur le territoire égyptien, selon une étude publiée en 2012 par deux chercheuses de l'Université du Colorado.
Censure ?
La multiplication des plateformes sociales complique les éventuelles tentatives de contrôle de la part des gouvernements. De plus, l’usage massif des réseaux sociaux dans ces manifestations s'explique par la volonté des citoyens turcs de pallier l’absence des médias traditionnels. En Turquie, de nombreuses voix se sont élevées ces derniers jours pour dénoncer la censure du gouvernement et l’autocensure de certains journalistes.
Lundi, au moment où nous écrivons ces lignes, plusieurs centaines de personnes s’étaient donné rendez-vous - via les réseaux sociaux - devant le siège de la chaîne de télévision NTV pour dénoncer sa collusion avec le pouvoir. Plusieurs centaines d'autres se trouvaient devant le siège du quotidien pro-gouvernemental "Sabah". Si les médias traditionnels ne retransmettent pas en direct les événements, les activistes ont pris les devants. Depuis plusieurs jours, un flux vidéo ininterrompu en provenance du centre-ville d'Istanbul est diffusé sur Internet. C'est pour toutes ces raisons qu'Erdogan traite en ennemis les réseaux sociaux qui s'érigent en sources d'informations alternatives. Internet le lui rend bien : les Anonymous, sorte d'internationale des hackers, ont déjà apporté leur soutien au mouvement de contestation dans une vidéo postée dimanche sur YouTube. Elle a déjà été visionnée plus de 500 000 fois.