La Cour pénale internationale a rejeté vendredi la demande de Tripoli de juger le fils aîné de Mouammar Kadhafi (photo). La juridiction internationale voit des "obstacles importants" au déroulement équitable d'une instruction sur le sol libyen.
La Cour pénale internationale (CPI) a rejeté vendredi 31 mai la demande de Tripoli de ne pas poursuivre Seïf al-Islam Kadhafi, le fils du défunt Mouammar Kadhafi, une décision longtemps attendue dans le bras de fer entre la CPI et la Libye, qui se disputent le droit de juger le suspect. "La chambre a estimé que la cour était compétente en ce qui concerne l'affaire contre M. Kadhafi et a rappelé à la Libye son obligation de lui livrer le suspect", a indiqué la CPI dans un résumé de sa décision.
La cour soupçonne Seïf al-Islam Kadhafi de crimes contre l'humanité commis lors du conflit libyen en 2011. Seïf al-Islam, 40 ans, est détenu par une brigade d'anciens combattants rebelles à Zenten, à 180 kilomètres au sud-ouest de Tripoli, depuis son arrestation en novembre 2011, bien qu'il fasse l'objet d'un mandat d'arrêt de la CPI. L'ONG Human Rights Watch a immédiatement réagi en appelant la Libye à remettre Seïf al-Islam à la CPI, qui siège à La Haye.
Les autorités libyennes avaient déposé le 1er mai 2012 une requête contestant la compétence de la CPI à poursuivre le fils du dictateur déchu ainsi que son ex-chef du renseignement, Abdallah al-Senoussi, 63 ans. La Cour avait indiqué que la Libye pouvait garder Seïf al-Islam dans l'attente d'une décision sur le sujet. Également recherché par la CPI pour crimes contre l'humanité, Abdallah al-Senoussi avait été arrêté mi-mars en Mauritanie et remis le 5 septembre à la Libye où il a été incarcéré. "Une enquête est en cours et couvre par certains lointains aspects l'affaire présentée devant la cour, comme par exemple la mobilisation de milices, de forces militaires (...), l'arrestation de journalistes et d'activistes", a souligné la cour. Cette dernière a cependant estimé que, "prise dans son ensemble", l'enquête libyenne ne couvre pas l'affaire présentée devant la cour par le procureur de la CPI, qui enquête en Libye en vertu d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.
Des "obstacles importants" à une instruction équitable
En vertu du principe de complémentarité, la CPI ne peut poursuivre un suspect que si la justice nationale ne peut pas ou ne veut pas poursuivre ce dernier. Or, a souligné la CPI, les autorités libyennes n'ont pas été en mesure d'obtenir certains témoignages ou d'assurer correctement la protection de certains témoins. "L'État libyen continue d'éprouver des difficultés considérables dans le plein exercice de ses pouvoirs judiciaires sur l'ensemble de son territoire", a en outre poursuivi la cour, en référence au chaos régnant en Libye depuis la fin du conflit de 2011. Le pays est de fait le théâtre d'enlèvements et autres crimes, le gouvernement central étant incapable de contrôler les groupes rebelles ayant provoqué la chute de Mouammar Kadhafi. "Les autorités libyennes n'ont pas été en mesure d'obtenir le transfert de M. Kadhafi à la garde de l'État et il existe des obstacles importants pour réunir les preuves et assurer la représentation légale de M. Kadhafi", selon la CPI.
Tripoli peut faire appel de la décision si elle le souhaite, a souligné la CPI. "Nous avons besoin de temps pour étudier la décision de la CPI", a déclaré à l'AFP le ministre libyen de la Justice Salah al-Marghani. "Nos experts se pencheront sur cette question, avant qu'il ait une réponse juridique", a-t-il dit. "Notre réponse sera technique et non politique", a ajouté le ministre libyen.
Seïf al-Islam Kadhafi était le fils le plus en vue et souvent présenté comme le successeur potentiel de son père, jusqu'à la révolte qui a éclaté en Libye en février 2011 et a conduit, après une intervention militaire occidentale, à la chute du régime et à la mort en octobre 2011 de Mouammar Kadhafi, qui était lui aussi recherché par la CPI. Il a déjà comparu plusieurs fois devant un tribunal libyen à Zenten dans le cadre d'un procès pour "atteinte à la sécurité nationale".
Ce procès avait été intenté en janvier après qu'une délégation de la CPI eut été accusée d'avoir apporté un stylo-caméra pendant une visite en juin 2012 et tenté de transmettre à Seïf al-Islam une lettre codée de son ancien bras droit, Mohammed Ismaïl, l'un des hommes les plus recherchés par la justice libyenne.
FRANCE 24 avec dépêches