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Guerre à Gaza : de retour chez eux, les otages israéliens entament le long chemin de la guérison
Après deux ans de captivité dans la bande de Gaza, les derniers otages israéliens vivants ont été libérés lundi 13 octobre. Affaiblis mais enfin de retour, ils entament désormais un long processus de guérison pour soigner leurs blessures physiques et psychologiques.
Guy Gilboa-Dalal, otage israélien libéré, retrouve ses proches au centre médical Rabin, en Israël, le 13 octobre 2025. © Boaz Oppenheim, Reuters via Israeli Government Handout

Au centre médical Rabin, à l'est de Tel-Aviv, Evyatar David se jette dans les bras de son frère Ilay et de sa sœur Yeela. "Je suis si heureux de te serrer dans mes bras", lui dit son frère. Tous trois affichent un large sourire et des larmes de soulagement ruissellent sur leurs joues. "J'ai tellement attendu ce moment", dit Evyatar, amaigri et les traits tirés. "Nous aussi", lui répond sa sœur.

Après deux années de captivité aux mains du Hamas, Evyatar David, 24 ans, fait partie des vingt otages vivants à être rentrés de la bande de Gaza en Israël lundi 13 octobre dans le cadre de l'accord de cessez-le-feu qui a également permis la libération de plus de 1 900 prisonniers palestiniens.

Comme Evyatar, tous ces hommes âgés de 21 à 48 ans sont apparus fortement affaiblis et amaigris à leur retour en Israël, marqués par de longues périodes passées sans voir la lumière du jour et sans nourriture. De retour chez eux, tous ont besoin d'un important suivi médical pour soigner leurs blessures physiques comme psychologiques. Mais le chemin vers la guérison sera long, avec des complications susceptibles d'apparaître des mois, voire des années plus tard.

Se réalimenter, se réhydrater progressivement

Après un premier examen médical effectué dès qu'ils ont été recueillis par la Croix-Rouge, le 13 octobre, les vingt otages ont été transférés dans différents hôpitaux israéliens : l'hôpital Ichilov, les centres médicaux Sheba et Rabin, tous situés à Tel-Aviv ou dans ses environs.

Dans les trois établissements, des unités d'accueil dédiées avaient été préparées avant leur arrivée. C'est d'ailleurs là, dans ces couloirs blancs, que la majorité d'entre eux ont pu retrouver leurs familles pour la première fois.

L'objectif de ces structures : offrir aux anciens otages un cadre sécurisé pour se réadapter progressivement à leur liberté retrouvée tout en leur faisant passer une batterie d'examens de santé élaborés par une équipe pluridisciplinaire – des médecins urgentistes, des psychiatres, des travailleurs sociaux et des nutritionnistes. Des spécialistes, comme des neurologues ou des infectiologues, peuvent également intervenir si besoin.

"La priorité, c'est de les stabiliser", explique le docteur Hagai Levine, responsable de l'équipe santé au Forum des otages. "Il faut soigner les blessures et les infections, réintroduire l'alimentation avec prudence, réhydrater pour retrouver l'équilibre électrolytique et s'assurer de leur sécurité physique et émotionnelle."

Pendant les plus de 700 jours qu'ils ont passés en captivité, la plupart des otages ont connu la faim avec parfois de longues périodes sans accès à de la nourriture. Chez ces patients dénutris, réintroduire une alimentation équilibrée ne peut pas se faire n'importe comment, au risque de graves complications. Pour cause, pendant leur captivité, leur corps s'est mis dans une sorte d'économie d'énergie, brûlant des graisses et des protéines à la place du glucose (le sucre). Il faut donc augmenter l'apport calorique très progressivement pour laisser au corps le temps de retrouver son fonctionnement "normal". Dans le cas inverse, le patient risque de développer un "syndrome de renutrition inappropriée" provoquant des contractions musculaires, des troubles respiratoires ou cardiaques et dans certains cas, la mort.

S'adapter à une liberté retrouvée

Outre cette épineuse gestion alimentaire, les rescapés sont aussi à risque de développer des troubles rénaux en raison d'une longue période de déshydratation. Beaucoup ont aussi porté des chaînes aux jambes durant toute leur détention, ce qui peut engendrer des problèmes orthopédiques, une fonte musculaire ou des thromboses.

Et au-delà de leur état physique, leur état psychologique nécessite aussi un suivi médical spécifique. Il leur faut "de l'intimité et du calme pour leur permettre de retrouver un sentiment de contrôle", souligne Hagai Levine.

Privés d'autonomie pendant deux ans, ils doivent réapprendre à prendre des décisions, même minimes, insiste le médecin. Les directives du ministère israélien de la Santé imposent ainsi à tous les soignants de demander l'autorisation avant chaque geste, qu'il s'agisse d'éteindre la lumière ou de changer les draps.

Mais l'autre défi majeur se trouve hors des couloirs des hôpitaux. "Beaucoup de proches d'otages ont été assassinés et eux sont devenus des figures médiatiques internationales. Il faut composer avec ça et avec le fait que leur vie privée a été autant exposée", poursuit Hagai Levine.

Si le gouvernement israélien fournit à chaque otage un kit de bienvenue avec un ordinateur portable et un téléphone mobile, la reconnexion avec le monde extérieur et tout ce qu'il s'est passé lors de leur détention doit donc se faire progressivement, insiste encore le médecin.

Des défis invisibles sur le long terme

Mais même une fois ce processus effectué, les rescapés remis sur pied et aptes à rentrer chez eux, il faudra toujours composer avec des séquelles à vie, s'accordent à dire les spécialistes.

Arbed Yehud, 29 ans, avait été enlevée le 7 octobre 2023 au kibboutz Nir Oz avec son partenaire, Ariel Cunio. Elle avait été libérée en janvier dans le cadre d'un précédent accord de cessez-le-feu. Lundi 13 octobre, elle a enfin retrouvé son compagnon, libéré à son tour.

Lors d'une conférence de presse aux côtés des familles d'autres otages libérés, elle n'a pas caché son amertume. "On aurait pu les faire revenir bien plus tôt", a-t-elle lancé. Ce n'était pas la première fois qu'elle exprimait cette colère envers les autorités israéliennes, les accusant régulièrement d'avoir mis en danger les otages en bloquant longuement les négociations pour une trêve. Un sentiment d'abandon et de trahison fréquent pour ces rescapés, confrontés à l'idée qu'une partie de leur traumatisme aurait pu être évitée.

"J'ai éprouvé la même chose", confie ainsi Avi Ohry, qui a passé 44 jours en captivité en Égypte, durant la guerre du Kippour en octobre 1973. "Pourquoi personne n'a réussi à nous aider au début de la guerre ? Comment l'armée la plus puissante du Moyen-Orient a-t-elle pu être prise par surprise ? C'est pareil aujourd'hui, avec ce sentiment que les troupes israéliennes déployées le long de la bande de Gaza auraient pu empêcher les attaques du 7-Octobre", confie-t-il.

À cela s'ajoute souvent un syndrome du survivant, cette culpabilité d'être rentré tandis que d'autres, parfois des proches, sont morts.

Ce sont ces deux sentiments qui ont poussé Avi Ohry à se spécialiser en médecine physique et de réadaptation, la spécialité de soins qui consiste à aider les patients dans leur rééducation et leur adaptation au quotidien après un accident ou une maladie. Un an après sa libération, il effectuait son internat en médecine au centre médical Sheba, le même hôpital qui accueille aujourd'hui les rescapés de Gaza. Pendant des décennies, il a ainsi consacré sa carrière à élaborer des protocoles adaptés pour accompagner spécifiquement d'anciens otages.

Pour ce médecin, le sentiment d'abandon exprimé par les otages peut être aggravé si le soutien des autorités ne se poursuit pas sur du long terme. "Il est essentiel que les anciens otages soient suivis sur la durée", insiste-t-il.

D'autant plus "que des complications peuvent se développer plus tard." "Des problèmes physiques et mentaux peuvent surgir des dizaines d'années après leur libération : diabète, maladies cardiaques, troubles vasculaires, cancer, mais aussi dépression ou syndrome de stress post-traumatique", énumère le médecin. "Ou même une combinaison de tous ces maux."

Une "médecin des otages"

Poussée par Avi Ohry, une équipe israélienne regroupant personnels médicaux, militaires et travailleurs sociaux a entrepris, peu après les attaques du 7 octobre 2023, d'actualiser un manuel de bonnes pratiques pour la réadaptation des anciens otages. Depuis, à chaque nouvelle libération, de nouvelles prérogatives y ont été ajoutées intégrant des variables comme l'âge ou encore la durée de captivité. De quoi affiner les protocoles et les spécificités dans les prises en charge.

En parallèle de son unité d'accueil des otages à leur retour, le centre médical Rabin a ainsi créé une unité de suivi à long terme pour offrir un accompagnement continu, des mois voire des années après leur sortie.

"L'expérience israélienne est unique et a, dans les faits, créé une nouvelle discipline : la médecine des otages. Jamais auparavant des équipes médicales n'avaient eu à prendre en charge un groupe aussi vaste et diversifié : nourrissons, jeunes enfants, femmes, jeunes adultes, personnes âgées", explique Hagai Levine. "C'est une situation sans précédent qui transforme la manière dont les professionnels de santé envisagent la guérison."

Bien qu'optimiste quant aux progrès réalisés en matière de réadaptation, Avi Ohry estime quant à lui que des améliorations restent possibles. "Les anciens otages restent dispersés dans tout le pays, nous devons nous assurer que les autorités prennent soin d'eux à vie", insiste-t-il.

Cet article a été adapté de l'anglais par Cyrielle Cabot. L'original est à retrouver ici.