Surfant sur l’omniprésence médiatique du PSG et de ses stars, le journaliste Arnaud Ramsay et le dessinateur Philippe Bercovici ont réalisé une BD d'enquête sur les coulisses du club de la capitale intitulée "Paris vaut bien un cheikh".
"Les footballeurs n’ont pas beaucoup d’humour, en tout cas pas sur eux-mêmes, donc là c’était une manière de les caricaturer un peu." Arnaud Ramsay, ex-journaliste à "France Football" et à "France-Soir", également biographe officiel de Bixente Lizarazu et de Nicolas Anelka, a réalisé avec l’illustrateur Philippe Bercovici une BD d’enquête intitulée "Paris vaut bien un cheikh", parue aux éditions 12bis. Cet ouvrage bien informé sur les dessous du club de la capitale entend "revisiter avec humour les coulisses du football, explorer le marché souterrain de ce sport".
Sur le ton de l’humour, la BD explore les dessous du sport roi et donne l’occasion de croiser certains de ses acteurs comme Michel Platini, Franck Ribéry, Zahia, Nicolas Sarkozy ou encore Zlatan Ibrahimovic… Mais le héros de cette BD est Hatem Ben Arfa qui signe à l’été 2013 à Paris, où il est entraîné alors par Arsène Wenger et couvé par le président du PSG, Nasser al-Khelaïfi.
"Il y a dans cette BD tout ce qu’est devenu le football d'aujourd’hui, au carrefour de la politique, du sexe et de l’argent. Le Qatar cristallise tout cela. L’idée est de faire sourire et d’apprendre des choses. Cela permet aussi de mettre en avant tout ce que nous, les journalistes, avons pu voir et que l’on ne peut pas toujours raconter", explique Ramsay. Entretien.
FRANCE 24 : Avec le départ annoncé de Carlo Ancelotti et les débordements du Trocadéro, Paris vaut-il toujours un "Cheikh" ?
Arnaud Ramsay : C’est un premier gros accroc, mais je ne pense pas que cela va changer grand-chose. La leçon du Trocadéro, c’est que les Qataris voulaient une belle carte postale avec la tour Eiffel en toile de fond, mais ils ont été pris de court. Ils n'ont pourtant pas pensé une seconde à se retirer car ils sont là pour durer. Ils ont investi beaucoup d’argent dans le PSG. Leur engagement est plus profond. Il y aura d’autres soubresauts, notamment au niveau sportif avec le feuilleton Ancelotti.
Justement, le départ d’Ancelotti est-il un désaveu pour le Qatar et son projet pour le PSG ?
A. R.: Ancelotti a plus dit "oui" au Real Madrid que non au Qatar. Je pense qu’il a inventé des prétextes pour partir, notamment les menaces qui auraient pesé sur lui en novembre 2012 après de mauvais résultats.
Qu’il soit menacé à cause de résultats décevants, cela ne me choque pas. Quand on touche 12 millions d’euros par an, on peut être contesté. Mourinho a été contesté, Benitez a été contesté : cela fait partie du métier d’entraîneur. En revanche, si les Qataris devaient perdre Thiago Silva ou Ibrahimovic, ce serait catastrophique pour leur projet.
Le nom de Laurent Blanc, sur lequel vous avez également écrit, a été évoqué pour remplacer Ancelotti…
A. R.: Je n’y crois pas une seconde ! Blanc manque vraiment d’étoffe. C’est quelqu’un qui déteste le conflit, qui fonctionne à l’anglaise avec un vrai entraîneur à ses côtés. Il n’est pas très bon en communication. En plus, il n’assume pas toujours ses responsabilités. Ce n’est pas un énorme bosseur. Jean-Louis Triaud, son président à Bordeaux, ou encore Noël Le Graët, le président de la Fédération française de football (FFF), passaient des journées entières sans pouvoir le joindre car il était, notamment, au golf. Il n’a jamais vécu à Paris. Je serais donc très étonné de sa venue au PSG, d’autant plus qu’entre Benitez [un autre entraîneur dont le nom est évoqué au PSG, NDLR] et Blanc, il n’y a pas photo.
Dans votre bande dessinée, vous avez pris pour fil rouge Hatem Ben Arfa. Pourquoi ce choix ?
A. R.: C’est un héros de roman. Il lui est arrivé des choses extraordinaires. Il a un destin peu banal, entre blessures et coup d’éclat. Du fait de son talent, on l’a comparé dès 14 ans à Zidane. Il a joué à Lyon puis est parti à Marseille, fâché avec beaucoup de monde. Il a été "endoctriné", selon lui, par le chanteur Abd al-Malik.
Dans le quotidien "L’Équipe", Ben Arfa accusera le chanteur de l’avoir "conditionné" et "endoctriné" en 2008. "Je faisais parti d’un mouvement avec un chef spirituel, un cheikh. C’est un système comme dans une secte." Abd al-Malik a porté plainte pour diffamation.
Il loupe la Coupe du monde 2010. Après l’Euro 2012, son père s’est battu avec son agent devant la FFF. Bref, c’est un écorché vif et, à la différence de Karim Benzema, il n’est pas impossible qu’un jour Ben Arfa joue à Paris. C’est un vrai "titi parisien". Il est né à Châtenay-Malabry, il a été formé à Clairefontaine.
Le personnage de Nasser al-Khelaïfi occupe lui aussi une place centrale dans votre BD…
A. R.: Mon héros, plus qu’Hatem Ben Arfa, c’est Nasser al-Khelaïfi. C’est "le porte-drapeau" du Qatar en France. Nasser al-Khelaïfi voudrait que tout le monde l’aime, que tout le monde soit supporter du PSG. Pour moi, il a un sourire "Colgate", c’est un super VRP. Le problème, c’est que derrière ses sourires, on ne sait pas ce qu’il se passe. Il est toujours maître de ses nerfs. On ne peut pas dépenser des millions sans attendre quelque chose en retour…
Le Qatar bénéficie en France d’une convention fiscale privilégiée. Ses ressortissants sont exonérés de taxe sur les plus-values immobilières et les gains réalisés par l'émirat ou ses "entités publiques" - telle la famille royale - sur des biens détenus en France. Par ailleurs, un Qatarien ne paie pas d’impôt sur la fortune (ISF) durant ses cinq premières années de résidence en France. Des mesures instaurées par Nicolas Sarkozy sur lesquelles n’est pas revenu François Hollande.
Votre ouvrage montre aussi la collusion qui existe entre le Qatar, les politiques français et les instances du football mondial…
A. R.: Le Qatar est dans tout et tout est dans le Qatar ! Mon idée était de faire sourire, mais de pointer des faits qui sont à minima ambigus. Les Qataris sont incrustés à tous les niveaux de la société. Ils surfent sur l’ambiguïté générale.
Les deux axes de reconnaissance médiatique du Qatar sont le sport et la culture à travers la fille de l’émir, la cheikha Al-Mayassa Ben Khalifa, qui a été élue en 2011 personnalité de l’art la plus influente du monde et qui a un rôle dans la BD. Pour cette "gazomonarchie", c’est une façon de placer ses pions à droite à gauche. C’est l’image qui compte pour les Qataris. Ils ont acheté une marque avec Paris et ils produisent le spectacle avec le PSG et ses stars. Dans la BD, Hatem Ben Arfa devient le jouet des Qataris, c’est de la pure fiction mais qui pourrait être bien réelle.