
Les critiques se multiplient contre le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, qui a mis son veto au rachat de Dailymotion par Yahoo!. Pour l'économiste Henri Sterdyniak, cette décision va, en revanche, dans le bon sens.
Le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, a annoncé mercredi qu’il avait fait échouer le rachat à 75 % du site de vidéos Dailymotion, filiale de France Télécom-Orange, par la société américaine Yahoo!. Cette ingérence du ministre suscite de nombreuses critiques. Interrogé par le journal les Échos, le PDG d’Orange, Stéphane Richard, a regretté cette décision car, selon lui, Dailymotion a besoin d'un partenaire américain pour continuer à se développer et concurrencer son principal rival, YouTube. Il affirme également que l’échec de cette vente risque d'endommager l'image de la France auprès des investisseurs étrangers.
Henri Sterdyniak, directeur du département économie de la mondialisation à Sciences Po Paris, estime au contraire que l’intervention d’Arnaud Montebourg est judicieuse. Pour ce spécialiste d'économie internationale, la France a, en effet, toutes les capacités de maintenir sur son sol des entreprises innovantes.
FRANCE 24 : Le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, s’est opposé au rachat de Dailymotion, filiale de France Télécom-Orange, par le géant américain Yahoo!. Est-ce qu’un tel blocage du gouvernement est inédit ?
Henri Sterdyniak : Il a effectivement un caractère exceptionnel. Selon la logique qui prévaut généralement, le gouvernement n’interfère pas dans la conduite des entreprises, sauf dans des cas bien particuliers. Jusqu’à présent, les gouvernements considéraient que ces blocages n’avaient pas de caractère stratégique, mais désormais on assiste à un changement de doctrine. On ne veut plus laisser une entreprise passer sous contrôle étranger. Lorsque cela s'est produit, la France a perdu tout moyen d’action.
Ces entreprises ont perdu de leur substance et ont disparu complètement. On pense bien entendu à Arcelor-Mittal et au site sidérurgique de Florange dans l’actualité récente. Le ministre a ainsi voulu mettre un coup d’arrêt à ces pratiques et dire clairement qu’avec Dailymotion, la France dispose d’une entreprise bien placée dans un domaine d’avenir. Il serait donc complètement stupide de la vendre à l’étranger. Il n’y aucune raison de perdre son futur développement pour des profits à court terme. D’autant plus qu’Orange a de l’argent et qu’on dispose également de la Banque publique d’investissement.
Selon vous, Arnaud Montebourg a donc eu raison de s'opposer à ce rachat ?
H. S. : C’est un geste qui va, en effet, dans le bon sens, car la France a la capacité financière de développer des entreprises autonomes sur Internet. C’est une tendance que souhaite promouvoir le ministre Arnaud Montebourg. Il veut maintenir en France des entreprises innovantes. On ne peut pas appeler cela du protectionnisme, mais il est nécessaire que les entreprises françaises conservent sur place leurs centres de décision et de production, sinon on sera complètement désarmé.
Les médias américains se montrent pourtant très critiques à l’égard du gouvernement français. Est-ce que cette décision risque de dégrader l'image de la France auprès des investisseurs étrangers ?
H. S. : Il faut se rappeler que les États-Unis prennent très souvent des mesures protectionnistes, en particulier contre la Chine. Ce n’est pas une pratique purement française. Les Américains ont une stratégie qui n’est pas du libéralisme pur et dur. Le fait que la France dise clairement qu’elle a la préoccupation de maintenir des secteurs productifs sur son sol ne devrait pas les étonner. Il est légitime qu’on encourage les investissements étrangers du type de Toyota, qui a installé une usine et créé des emplois en France ; mais quand un investissement vise à prendre le contrôle d’une entreprise qui fonctionne et qui a un potentiel d’avenir, c’est plus problématique. La France n’avait pas de garantie de Yahoo! concernant le futur développement de Dailymotion. Elle ne savait pas non plus si l’objectif caché était de tuer cette entreprise, car c’est finalement un concurrent.
Ce blocage peut rendre frileux des investisseurs étrangers, mais la France a un taux d’épargne important et des capitaux disponibles. On a les moyens de choisir les investissements étrangers et de soutenir les entreprises qui veulent se développer. La France n’a pas besoin de l’apport de capitaux prédateurs, mais plutôt d’entreprises qui apportent quelque chose. Dans ce cas précis, le gouvernement a jugé que ce rachat n’apportait aucune garantie.