Un ancien bunker construit en Bosnie sous Tito a été transformé en musée d'art contemporain. Depuis vendredi, une trentaine d'artistes internationaux y exposent leurs œuvres, en plus de la quarantaine d'autres qui y sont installées depuis 2011.
Vétuste et sans vie il y a encore quelques années, un abri antinucléaire de Tito, bâti à l'époque de la guerre froide dans les entrailles d'une montagne de Bosnie, a été investi par des artistes internationaux qui l'ont transformé en un musée d'art contemporain.
"L'idée d'installer une biennale d'art contemporain dans un bunker de Tito est absolument exceptionnelle et complètement délirante", s'exclame Pierre Courtin, un artiste et galeriste français, venu vendredi au vernissage de la seconde édition de cette manifestation lancée en 2011.
"Ce n'est pas un lieu neutre. Ici, on est complètement à l'opposé du +white cube+, à savoir d'une neutralité du lieu qui en général va avec les oeuvres d'art contemporain. Ce lieu a une telle présence physique que c'est un challenge énorme pour les artistes d'exposer dans un endroit pareil", explique-t-il.
Une trentaine d'artistes de dix-neuf pays - notamment d'Europe, des Etats-Unis mais aussi du Japon et d'Irak -, exposent cette année dans ce gigantesque bunker, jadis ultra-secret, que le président de la Yougoslavie, Josip Broz Tito (1892-1980), avait fait construire près de Konjic, dans le sud de la Bosnie, pour lui servir de commandement en cas d'attaque nucléaire contre sa fédération qui s'est décomposée dans les années 1990.
Des installations rappelant la frayeur d'une attaque atomique à l'époque de la guerre froide, avec un jeu de sons et lumières donnant parfois la chair de poule, des expositions de photos et des projections vidéo ont investi les longs couloirs de cette bâtisse souterraine. Ses nombreuses chambres à coucher et salles de conférence ou de communication ont été transformées en galeries d'art.
Ce bunker avait été construit dans le plus grand secret pendant 26 ans par l'armée yougoslave, de 1953 à 1979, pour un investissement de 4,5 milliards de dollars.
En forme de fer à cheval, il couvre 6.500 m2 et pouvait accueillir 350 personnes.
"Nous avons choisi des artistes que nous avons estimé être en mesure de répondre à des défis spécifiques de ce lieu, qui n'est pas une simple galerie et qui nécessite de la patience, de l'ingéniosité et une vision", explique Branko Franceschi, un des organisateurs de l'exposition.
Une fois installées, les oeuvres vont rester en place et composeront une exposition permanente, avec une quarantaine d'autres, déjà installées en 2011. L'ambition des organisateurs est de transformer le bunker en un véritable musée, en lui ajoutant une fois tous les deux ans d'autres oeuvres.
"Il s'agit d'un hybride de musée militaire et d'art contemporain, avec une synergie unique au monde", assure M. Franceschi.
La guerre froide est un thème universel qui permet à ce projet d'attirer des artistes du monde entier. Avec leurs oeuvres, ils se réfèrent à cette période, tout en traitant de divers aspects du présent.
"Ce bunker est un monument, un monument à la division idéologique, à l'Europe divisée et à un monde polarisé. Ces questions sont toujours d'actualité parce que nous continuons de vivre dans un climat de division et de peur", estime un des exposants, Conor McGrady, un dessinateur d'Irlande du Nord.
Le directeur de la biennale, Edo Hozic, a misé sur le caractère secret du bunker pour faire réussir son projet.
"Tout le monde est attiré par les secrets. Je pense que tous les bunkers font rayonner une énergie répulsive, mais il me semble que nous avons réussi à changer l'énergie de ce vaste endroit dont l'existence en son état d'origine n'avait plus aucun sens", dit-il.
Selon Pierre Courtin, construire une oeuvre pour être exposée dans le bunker de Tito est "un exercice très difficile et très périlleux".
"J'apprécie le plus les oeuvres où on sent qu'elles ont vraiment été faites pour ce lieu. Par exemple la grande installation de l'Italien Alfredo Pirri, ce grand miroir cassé en guise de plancher dans un des couloirs. C'est vraiment une oeuvre qui ne peut exister qu'ici et qui ne peut pas être déplacée", souligne-t-il.
AFP