
Il est l'un des experts les plus cités sur les questions d'armement dans le conflit syrien. Pourtant, Eliot Higgins, auteur du blog Brown Moses, n'a jamais mis le pied en Syrie et ne parle pas l'arabe... mais il est accro aux réseaux sociaux.
Il a été à l’origine de la découverte, en 2012, de bombes à sous-munitions - des armes interdites par toutes les conventions internationales - utilisées dans le conflit syrien. Eliot Higgins a aussi été le premier à trouver, au début de 2013, des preuves vidéo de l’acheminement d’armes pour les rebelles syriens en provenance de Croatie. Son minutieux travail de dénicheur d’infos concernant ce conflit a valu à ce Britannique d’être cité dans des rapports de Human Rights Watch ou encore par le "New York Times" et le quotidien français "Le Monde".
Pourtant Eliot Higgins n’a rien du spécialiste des questions militaires qui arpente le terrain au risque de sa vie. Il n’est pas non plus un reporter de guerre chevronné. Ce féru d’informatique et d’Internet est, en fait, un chômeur de 34 ans qui vit à Leicester (centre de l’Angleterre) et avoue avoir un faible pour les jeux vidéo.
Mais son blog, baptisé Brown Moses, est devenu une référence pour se tenir informé des armes utilisées - et par quel camp - en Syrie. Sur sa page d’accueil, Eliot Higgins se targue du fait que son travail ait été cité par des médias aussi établis que le "Daily Telegraph", CNN ou la BBC.
500 chaînes YouTube
"Tout a commencé comme un passe-temps avec les Printemps arabes", a écrit Eliot Higgins dans un long post de blog publié mercredi 24 avril sur le site Medium qui détaille son parcours et ses motivations. “Je me suis rapidement rendu compte que ce n’était pas seulement les étudiants qui utilisaient les réseaux sociaux comme Facebook, YouTube etc., mais aussi les militaires, les militants et les ‘terroristes’”, poursuit-il. Il devient alors, de son propre aveu, drogué à toutes ces publications, vidéos brutes mises en ligne par les acteurs de terrain.
Le blog ne viendra qu'un an plus tard, en mars 2012. Avec la guerre en Syrie, il décide de partager avec le reste du monde toutes ces informations dispersées aux quatre coins de la Toile qu’il récupère et qui le fascinent. Eliot Higgins s'était aussi construit un réseau de contacts sur Internet pour l’aider à confirmer la véracité et la pertinence de ce qu’il déniche sur le Web.
Ainsi, par exemple, il a pu établir que des vidéos qui prétendaient montrer, il y a quelques mois, l’utilisation par l’armée syrienne d'armes fournies par la Chine n’étaient que de l’intox. “Si je commence à relayer de fausses informations, cela se saura très vite à cause du public très pointu qui suit mon blog”, assure-t-il dans le quotidien britannique "The Guardian" qui lui a consacré un article en mars 2013.
Au fil des mois, Eliot Higgins s’est constitué une liste de 500 chaînes YouTube consacrées à la Syrie et animées aussi bien par des rebelles que des proches du pouvoir. Il se penche tous les jours sur une centaine de nouvelles vidéos. “Il serait le premier à admettre qu’il a une obsession quasi compulsive pour les petits détails. C’est ce qui fait qu’il ne se trompe pas et qu’il est devenu une source indispensable pour nous”, souligne dans "The Guardian" Peter Bouckaert, un responsable d’Human Rights Watch qui a travaillé avec lui sur le dossier des bombes à sous-munition en Syrie.
Appel aux dons
Un avis que partage le journaliste américain du "New York Times" C.J. Chivers, qui s'est intéressé à des djihadistes de Syrie équipés d’armes venant de l’ex-Yougoslavie. “Un grand nombre de personnes qui travaillent sur le dossier syrien doivent beaucoup au blog Brown Moses”, assure-t-il. Lui-même a rendu hommage à Eliot Higgins dans un billet de blog consacré à la genèse de son enquête sur ces armes d’origine européenne qui n’auraient pas dû se retrouver entre les mains de fondamentalistes en Syrie. C.J. Chivers y reconnaît qu’Eliot Higgins a découvert le pot aux roses avant lui et qu’ils ont travaillé ensemble.
Contrairement aux professionnels qui s’inspirent de son blog, Eliot Higgins n’est pas rémunéré pour ce qu’il fait. “Ma femme me voit faire tout ça et pense que je devrais être payé, mais je le fais avant tout pour garder une trace d’informations qui ne sont pas publiées dans les médias traditionnels”, explique-t-il à "The Guardian".
Reste que celui-ci aimerait bien faire de son blog un travail à plein temps. Eliot Higgins a donc lancé un appel aux dons sur la plateforme de financement participatif Indiegogo. Il espère ainsi lever 6 000 livres sterling (8 332 euros) pour continuer à faire “un travail d’investigation indépendant sur le conflit en Syrie”. Une semaine après avoir demandé aux internautes de le soutenir financièrement, il a déjà reçu près de 2 500 livres (2 975 euros).