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Paradis fiscal : pourquoi l'Europe s'en prend à l'Autriche

Le secret bancaire autrichien est désormais dans le collimateur de la zone euro. Si ce petit État est peu connu pour être un centre offshore, Gabriel Zucman, expert français des paradis fiscaux, juge qu’il offre les mêmes avantages que la Suisse.

“Il n'est pas normal que des pays comme l'Autriche par exemple ne communiquent pas les informations dont ils disposent concernant les ressortissants de l'Union européenne ayant des comptes chez eux”. Par ces propos prononcés jeudi sur France Info, le ministre français délégué au Budget Bernard Cazeneuve a mis l’Autriche au centre des débats sur les paradis fiscaux européens.

Nul doute que les ministres européens des Finances qui se réunissent à Dublin vendredi 12 avril aborderont le dossier autrichien. Dans le contexte des “offshore Leaks” et des révélations sur les comptes en Suisse et à Singapour de l’ex-ministre français du Budget Jérôme Cahuzac, la lutte contre la fraude fiscale a, en effet, été inscrite à l’agenda de ce mini-sommet.

Vienne n’en demandait pas tant. Le petit pays germanophone était jusqu’à présent surtout connu pour ses stations de sports d’hiver et son économie relativement épargnée par la crise de la zone euro. Dorénavant, c’est une autre spécialité autrichienne qui attire l’attention du grand public : son secret bancaire.

Gestion de fortune

Une particularité que l’Autriche compte bien défendre bec et ongles. Il est, d’ailleurs, le dernier pays de la zone euro à s’y accrocher. Le Luxembourg s’est dit ouvert, jeudi, à plus de transparence sur l’argent détenu par des étrangers dans ses banques. Rien de tel pour Vienne : “L’Autriche tient à son secret bancaire. Nous luttons contre la fraude fiscale et le blanchiment d’argent et je ne m’attends pas à des questions dérangeantes [durant le sommet de Dublin, NDLR]”, a affirmé, vendredi, Maria Fekter, ministre autrichienne des Finances. Dans son pays, la discrétion bancaire est même un principe constitutionnel.

Une manière de dire, circulez, il n’y a rien à voir. Pourtant, “l’Autriche est comme la Suisse, un paradis fiscal pour les particuliers”, affirme à FRANCE 24 Gabriel Zucman, doctorant à l’École d’économie de Paris et spécialiste français des paradis fiscaux. En clair, la spécialité des banques est de gérer l’argent des grandes fortunes en toute discrétion. “C’est avec le Luxembourg [pour l’instant, NDLR] le dernier pays de la zone euro dont la législation permet aux particuliers de frauder le fisc de leur pays d’origine”, précise cet expert.

L’Autriche refuse, en effet, de communiquer automatiquement les informations sur les comptes ouverts dans ses banques par des étrangers. Une exception au sein de la zone euro qui complique considérablement la tâche pour remonter la trace d’éventuels fraudeurs.

Si les activités offshore des banques autrichiennes ont longtemps pu prospérer sans susciter les mêmes critiques que pour la Suisse et le Luxembourg, c’est que les sommes en jeu sont moins importantes. Les fonds déposés par des étrangers dans les banques helvètes s’élèvent à plus de 1 000 milliards d’euros contre 53 milliards d’euros en Autriche.

Bonne affaire pour Singapour et Hong Kong ?

Pour échapper à la vindicte internationale, Vienne tente de se poser en victime d'un système de deux poids deux mesures. La ministre autrichienne des Finances, Maria Fekter, affirme ainsi qu’il n’y a pas de raison que son pays soit pointé du doigt alors que la “Grande-Bretagne et les États-Unis ont également des centres offshores qui servent à blanchir de l’argent”.

Une comparaison qui ne tient pas la route pour Gabriel Zucman. “Il y a dans ces deux pays des dispositions fiscales très avantageuses pour les entreprises mais pas de législation qui permet aux particuliers de frauder le fisc”, souligne cet économiste.

S’en prendre à l’Autriche est, en outre, une bonne manière d’atteindre, d’après cet expert, le “plus important paradis fiscal au monde” : la Suisse. “Si l’Europe réussit à faire plier l’Autriche et le Luxembourg, Berne va se sentir très isolé et à court d’arguments face à ceux qui s’en prennent à son secret bancaire”, explique Gabriel Zucman.

Reste que cette offensive contre les paradis fiscaux en Europe pourrait faire les affaires des places offshores asiatiques, comme Hong Kong et Singapour. Jérôme Cahuzac est, d’ailleurs, soupçonné d’avoir transféré son argent à Singapour lorsque la pression américaine sur la Suisse commençait à se faire de plus en plus forte. “L’idée est que chaque pays qui abandonne son secret bancaire va avoir tout intérêt ensuite à ce que les paradis fiscaux qui restent tombent à leur tour”, espère Gabriel Zucman.