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Quarante ans de prison pour les meurtriers de deux écologistes en Amazonie

Deux hommes, reconnus coupables du meurtre de deux écologistes en Amazonie brésilienne, ont été condamnés à plus de 40 ans de prison. Une décision d'une rare sévérité dans un pays où les crimes liés aux conflits agraires restent souvent impunis.

Alberto Lopes do Nascimento et Lindonjonson Silva Rocha ont été reconnus coupables, par le tribunal de Belem, du meurtre, en 2011, de José Claudio et Maria do Espirito Santo da Silva, un couple d’agriculteurs défenseurs de la forêt amazonienne. Un fait remarquable en soi, tant l’impunité règne en maître dans certaines régions de l’Amazonie. Et les peines auxquelles ont été condamnés les deux assassins sont historiques : le premier a écopé de 45 années d’emprisonnement, le second de 42 ans et huit mois.

En revanche, José Rodrigues Moreira, le troisième homme présent dans le box des accusés et commanditaire présumé du double meurtre, a été acquitté. "Il n’y a pas de preuves suffisantes à sa condamnation", a justifié le juge à l’annonce du verdict jeudi. Cette décision a mis le procureur hors de lui. "Je crois que les trois accusés auraient dû être condamnés. J’attribue l’acquittement de José Rodrigues à la grande scène tire-larme qu’il a jouée devant le tribunal, s’agenouillant devant le jury et jurant ses grands dieux être un homme pieux", a-t-il déclaré, rageur, assurant qu’il allait faire appel de cette décision.

Grand propriétaire terrien, José Rodrigues avait acquis - illégalement selon les organisations de défense de l'environnement - 144 hectares de terrain dans une réserve recouverte de forêt primaire où vivaient trois familles, contraintes de quitter les terres. Des faits que les deux victimes, militants écologistes de la Commission pastorale de la terre (CPT), ne cessaient de dénoncer.

Menacés de mort depuis 2007

Le matin du 24 mai 2011, leurs corps criblés de balles sont retrouvés dans la zone rurale de Nova Ipixuna, au coeur de la forêt amazonienne. Le couple a été pris dans une embuscade, alors qu’il venait de quitter à moto la communauté rurale de Praia Alta Piranheira, où il vivait. Les assassins ont coupé l’oreille droite de José Claudio avant de l’exécuter. "Une sorte de trophée", signe que le meurtre a été commandité, a expliqué l’avocat de la partie civile, au cours du procès.

Depuis 2007, Maria et José Claudio étaient menacés de mort, selon eux, par des exploitants forestiers et éleveurs de la région, qui appréciaient fort peu leur combat contre la déforestation sauvage. Le couple avait demandé une protection policière, en vain.

Leurs meurtres ont été les premiers d’une sanglante série. Après eux, en un peu plus d’un mois, une dizaine de militants écologistes sont tombés sous les balles dans le seul État du Para, l’un des plus violents du Brésil en matière de conflit agraire. Dans cette région, les lois réglementant la déforestation n’ont jamais été appliquées. Les grands propriétaires terriens apparaissent surpuissants, le lobby de l’agrobusiness contrôlant les municipalités, les institutions et la police. De ce fait, les crimes liés à la question de la terre restent la plupart du temps impunis.

Règne de l’agrobusiness

Le meurtre, en 2005, de la religieuse américano-brésilienne Dorothy Stang avait profondément choqué la communauté internationale. La septuagénaire défendait, depuis 20 ans, la cause des petits agriculteurs, chassés de leurs terres. Le gouvernement brésilien avait ordonné le déploiement de 2 000 militaires pour rétablir l’état de droit et assurer la sécurité des personnes menacées. Peine perdue. Huit ans plus tard, le constat est édifiant : le nombre de crimes liés à la terre ne cesse d’augmenter et l’impunité est toujours de mise. En 2008, les deux principaux suspects dans le meurtre de sœur Dorothy ont ainsi été relaxés.

Selon la Commission pastorale de la terre en 2011, plus de 1 150 écologistes ont été tués au Brésil depuis 1988, date du meurtre dans l’Etat du Para, de Chico Mendès, défenseur de l’environnement mondialement connu. Une centaine de procès a eu lieu. Seuls quelque 80 meurtriers ont été condamnés. Et sur la quinzaine de commanditaires reconnus coupables, aucun n’a purgé sa peine.