En salles depuis le 13 mars, le premier documentaire de la réalisatrice française Jill Coulon nous embarque dans l’univers méconnu du sumo, à travers la rencontre de Takuya Ogushi, jeune lutteur de force et parfois de gré.
Du haut de ses 18 ans, Takuya Ogushi fait partie des adolescents populaires de son lycée. Svelte, branché, le cheveu hirsute, il boude les études mais n’en n’est pas moins un excellent judoka, discipline dont il rêvait de faire son métier.
Mais pour continuer à pratiquer le judo, encore aurait-il fallu intégrer une université, inenvisageable pour ce cancre qui obtient avec peine son baccalauréat. Alors pour son père, la solution est sans appel, Takuya deviendra sumo. Repéré par les sponsors de sa ville, l’adolescent est rapidement pris en charge par un coach qui l’intègre dans son club, l’écurie Oshima Beya, alors même qu’il n’a jamais assisté à un combat de sumo de sa vie. Logé, nourri, rémunéré, il doit désormais s’adapter à un mode de vie totalement étranger.
Parmi les nombreux défis qui l’attendent : s’intégrer à la communauté des lutteurs, réussir à opérer la transformation drastique de son corps et fournir des résultats en compétition. Originaire d’une petite ville d’où proviennent de nombreux champions sumos, la pression sociale est également énorme. Son père est formel : l'échec n'est pas une éventualité, pas question de rentrer à la maison.
Seize kilos supplémentaires en moins de trois mois
Avec "Tu seras sumo", la réalisatrice française Jill Coulon signe un documentaire poignant qui ouvre les portes d’un monde peu connu du grand public et des Japonais eux-mêmes. La cinéaste s'attaque aux préjugés d’une discipline qu’elle traite de manière singulière et infiniment touchante. "Mon but n’était pas d’expliquer le sumo mais plus de raconter l’histoire de Takuya", explique à FRANCE 24 cette néo-passionnée de culture asiatique.
"Pour gagner sa confiance, nous [Jill Coulon et son interprète Mari Ikeda] sommes d’abord allées chez lui, quelques jours avant son départ pour Tokyo. Nous avons rencontré sa famille, ses amis… Le fait que l’on connaisse son monde et que l’on découvre le sumo en même temps que lui a créé un lien très fort entre nous", confie-t-elle.
Dernier arrivé dans l’écurie, Takuya devient de larbin du groupe mais il se plie docilement aux désidératas de sa nouvelle communauté. Les premières semaines, la motivation est là. "Mange jusqu’à ce que ton ventre soit aussi dur que ta tête", lui martèle l’équipe médicale de l’organisation. Les entraînements s’enchaînent et en moins de trois mois, il prend 16 kilos. La métamorphose est en marche. Mais rapidement, le doute s'installe, les résultats en compétition n'étant pas au rendez-vous.
"Parce que Mari et moi avons connu sa vie d’avant, nous sommes devenues de vraies confidentes pour lui. Et il appréciait notre présence aussi parce que notre caméra le protégeait un peu du bizutage habituellement subi par les nouveaux lutteurs", ajoute Jill Coulon.
"Zut, t’as manqué une bonne scène, j’ai pleuré hier soir"
À l’aise face à la caméra, Takuya demeure toutefois peu expressif, particulièrement dans l’adversité. "La retenue est un trait de caractère typiquement japonais. Ils intériorisent tout", explique Jill Coulon.
"Zut t’as manqué l'occasion de filmer une bonne scène car j’ai pleuré hier soir quand tu n’étais pas là", lui lance Takuya avec humour, un matin. Mais le jeune Japonais ne joue pas la comédie et l’intensité dramatique de certaines scènes n’a jamais été accentuée pour les besoins du documentaire, assure Jill Coulon.
Alors pour que le spectateur saisisse la complexité du cheminement intérieur de Takuya, la cinéaste a choisi lui faire narrer sa propre histoire. Parfois, ce sont des conversations téléphoniques avec sa grande sœur et confidente qui ont été enregistrées. Il en ressort un documentaire très épuré et résolument humain sur l’histoire d’un adulte en devenir tout simplement confronté aux mêmes questions et aux mêmes peurs que n’importe quel autre adolescent de la planète.