Alors que la traque des islamistes par l’armée française se poursuit dans le massif des Ifoghas, l'exil des Touareg se poursuit, notamment vers le Burkina Faso. Reportage à Mentao auprès des populations exilées dans les camps de réfugiés.
À pied, à cheval ou à dos de chameaux, ils sont des centaines par jour à traverser la frontière qui sépare le Mali du Burkina Faso, pour atteindre la petite localité de Djibo perdue dans la poussière rouge burkinabè, à quelque 400 kilomètres de la capitale, Ouagadougou. La plupart arrivent après une dizaine de jours de voyage à travers le désert. Le haut commissaire de la province de Soum, Ima Barké Sylvestre, dont dépend la ville de Djibo est un peu perdu dans les chiffres. " Ils sont 20 000 à peu près répartis dans les quatre camps de Mentao, autour de la ville de Djibo", explique-t-il. La frontière étant tellement poreuse, nul ne sait réellement combien de réfugiés sont présents sur le sol burkinabè.
Les peaux-rouges fuient les exactions
Ce sont essentiellement des "peaux-rouges", sobriquet donné aux Touaregs au Mali, mais aussi aux Arabes et aux Peuls. Certains ont quitté les grandes villes du Nord-Mali lors de l’arrivée des islamistes vers le printemps 2012. Mais depuis le lancement de l’opération Serval le 10 janvier 2013, l’exode s’est accéléré. Ces derniers craignent les représailles des populations noires qui les accusent d’avoir frayé avec les islamistes ou d’avoir tout simplement précipité le pays dans le chaos à travers leur soutien du MNLA (Mouvement de libération de l’Azawad).
Couché sur un matelas à même le sol sous une tente à moitié montée, preuve de son arrivée récente, Hamza Maïga, un Touareg noir issu de la ville de Hombori (située à deux heures de la ville de Djibo) a dû quitter précipitamment la ville avec sa femme et ses deux enfants. "J’ai collaboré avec le MNLA mais je n’ai pas pris le fusil. La situation était devenue défavorable pour moi. Pour éviter tout amalgame, j’ai décidé de rejoindre l’asile politique", confie-t-il. Comme lui, ils seraient des milliers à quitter les grandes villes du Nord. La plupart arrivent dans l’un des quatre camps situés autour de la ville de Djibo. Celui de Mentao est un immense terrain vague qui s’étend à perte de vue dans le désert, sur lequel sont installées des tentes blanches et bleues du HCR et des latrines.
"Je devais partir, il y avait trop d’amalgames…"
Dans les camps, il faut s’armer de patience pour s’enregistrer auprès de l’ONG. Des files d’attente impressionnantes se forment devant le bureau. Les exilés doivent établir leur état-civil avant de pouvoir obtenir l’aide du HCR : tentes, latrines et autres vivres. Certains arrivent dans des conditions de grande fatigue. À l’intérieur, une jeune femme berbère de 26 ans venant de Tombouctou attend, avec dans ses bras un bébé de huit mois souffrant de malnutrition. À ses côtés, sa petite fille de trois ans préfère fixer le sol plutôt que les personnes qui l’entourent. " Nous avons marché pendant des jours, j’ai perdu mon mari pendant la guerre et je suis venue avec ma belle-famille".
Quand les armées françaises et maliennes ont repris des villes du Nord-Mali, les Touaregs et autres sympathisants des MNLA ont été visés par des représailles. Des hommes ont été battus, des boutiques pillées et saccagées, des maisons mises à sac. Deux mois plus tard, pour fuir les amalgames, disent-ils, beaucoup de Touaregs et autres arabes continuent de quitter le pays. Un vieil homme de 68 ans assis dans une tente au milieu de sa famille, dit ne pas avoir eu le choix. "Je devais partir, il y avait trop d’amalgames, ils me prenaient pour des islamistes parce que j’ai une barbe". C’est ainsi que, début février, Sidi Ahmed Ould Mouhamed a quitté Tombouctou avec les 34 membres de sa famille et traversé le désert pour s’installer au Burkina. Soulagé d’être à l’abri même s’ils n’ont pas encore eu leurs tentes et tous les équipements fournis par le HCR.
L’armée malienne accusée d’exactions
Tout au long de la visite du camp, un homme suit notre équipe inlassablement. Il souhaite à tout prix parler de son frère dont il est sans nouvelles depuis mi-février. "C’est un soldat malien mais il est arabe. Et depuis, nous n’avons aucune nouvelle de lui, pourquoi l’armée malienne ne nous dit pas où il est ?", s'interroge-t-il. Ces allégations se multiplient dans tout le pays poussant le Haut commissariat des Nations unies aux droits de l’homme à accuser l’armée malienne d’avoir mené des représailles à l’encontre de plusieurs groupes ethniques. L’organisme a demandé au Mali l’ouverture d’une enquête à ce sujet le 12 mars. De son côté, le gouvernement de transition élude la question. Le ministre de la Justice, Malick Coulibaly a déclaré que les allégations d'exactions imputables aux forces maliennes sont "le fait d'actes isolés dont les auteurs seront poursuivis et punis".
Un racisme ancien
Dans le centre ville de Djibo, nous rencontrons un jeune Touareg professionnel du tourisme très à l’aise avec les étrangers qui nous confirme cette assertion. Il se propose de nous servir de guide dans les camps de Mentao. Il fait partie des premiers à avoir quitté Tombouctou dès les premières rumeurs d’arrivée d’islamistes en janvier 2012 . " Je ne pouvais pas rester là-bas. J’ai entendu des rumeurs comme quoi les islamistes arrivaient, alors je suis parti avec toute ma famille, mon père qui était malade à l’époque est mort en arrivant."
Le jeune homme de 26 ans a pu trouver une maison dans la ville de Djibo grâce à quelques économies. Avec son argent et son réseau, il a retrouvé très vite de quoi subsister et n’a pas été obligé de vivre dans les camps. Sa vie à Djibo est bien meilleure qu’à Tombouctou, car dit-il les Burkinabè acceptent la présence des réfugiés du Nord-Mali . "Nous sommes faits pour vivre avec les Noirs, c’est pour cela que nous ne partons pas en Mauritanie ou en Algérie, même si c’est plus près de Tombouctou", lance-t-il goguenard. Ali souligne que le racisme anti-touareg n’est pas nouveau. Sa famille a été victime d’exactions lors de la rébellion des Touaregs en 1990. L’intervention française fut pour lui la meilleure nouvelle pour son pays."Si la situation est calme et normale, je serai le premier à revenir à Tombouctou", affirme-t-il.
Retour impossible des réfugiés ?
Une parole rare sur le camp car la plupart des réfugiés n’envisagent aucun retour possible au Mali. Le Burkina Faso n’est pas seul dans cette situation. La Mauritanie, premier pays d’accueil des réfugiés maliens (75 000 selon le HCR), est devenue le point de rassemblement des Touaregs, Arabes et Peuls victimes d’exactions ou craignant des représailles. Des manifestations se multiplient à Nouakchott, le président malien de transition Dioncounda Traoré a été accueilli hier par des protestataires qui scandaient, " Arrêtez la campagne d’épuration ethnique contre les Arabes et Touaregs".Des cris qui devraient être entendus lors de la campagne présidentielle malienne prévue en juillet prochain.