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Opération "presse morte" à Bamako pour la libération d'un journaliste

Pour protester contre la détention de Boukary Daou, le directeur de la publication du journal Le Républicain, les patrons des médias privés maliens ont décidé d’arrêter de paraître et d’émettre depuis mardi 12 mars. Explications.

Black-out sur l'info au Mali. Depuis mardi, les patrons des journaux et des radios privés de Bamako ont décidé de se mettre en grève pour soutenir leur confrère Boukary Daou, le directeur de publication du quotidien Le Républicain, détenu dans les locaux de la Sécurité d’État (les services de renseignement) depuis le 6 mars. Celui-ci se voit reprocher la publication d'une lettre ouverte au président Dioncounda Traoré signée d'un mystérieux "capitaine Touré" mettant en cause la nomination du capitaine putschiste Amadou Haya Sanogo à la tête d'un comité de réforme de l'armée au mois de février.

"Nous avons appris que, pendant que nous mourons, nous, dans le grand désert, le capitaine Sanogo, pour avoir fait un coup d’État et mis le pays dans la situation que nous connaissons, doit bénéficier d’un salaire de quatre millions de francs CFA (plus de 6 000 euros) par mois", peut-on lire dans cette missive qui pose par ailleurs un ultimatum : "Si cette décision n’[est] pas annulée dans les deux semaines suivantes, nous cesserons, nous, c’est-à-dire mes éléments et moi, de combattre et nous sommes prêts à en subir toutes les conséquences."

"Entreprises obscures" de déstabilisation

Une initiative très froidement accueillie par les autorités maliennes qui la considèrent comme une atteinte à la sûreté de l'État, d'autant plus que, depuis plusieurs semaines, l’armée apparaît fortement divisée. Fin janvier, des affrontements ont ainsi eu lieu entre les "Bérets verts", les hommes du capitaine Sanogo, et les "Bérets rouges", le corps d’élite fidèle à l’ancien président malien Amadou Toumani Touré.

Un communiqué lu dans le journal de 20h de l'ORTM, la télévision nationale malienne, lundi 11 mars, a, en effet, appelé les Maliens à la "vigilance face à des entreprises obscures qui cherchent à compromettre la cohésion et la discipline au sein des troupes sur le terrain". Tandis que l'armée assure, elle, qu’aucun capitaine répondant au patronyme de Touré n’officie au Nord-Mali, Boukary Daou a tout simplement "dépassé la liberté de la presse" en publiant cette lettre qui "pousse les troupes à déserter, à quitter le front", a renchéri de son côté Dioncounda Traoré depuis Nouakchott où il était en déplacement. "Nous sommes en situation de guerre, tout Malien doit avoir une conscience aiguë de la portée de ce qu'il peut dire ou écrire", a poursuivi le chef de l'État par intérim. Quant à ce proche du capitaine Sanogo contacté par France 24, il voit dans la lettre publiée par Le Républicain une tentative de "manipulation politique".

Détérioration de l'état de droit

Pour les journalistes maliens et les associations de défense de la liberté de la presse en revanche, l'emprisonnement de Boukary Daou est le signe d'une détérioration de l'état de droit au Mali, comme l'explique Gabriel Baglo, responsable Afrique de la Fédération internationale des journalistes, joint par RFI. "Les agents de la sécurité d’État lui demandent de donner le nom des auteurs du document incriminé et il a refusé, ce qui est son droit car les journalistes doivent protéger leurs sources", rappelle de son côté Kassim Traoré, président de l’Organisation des jeunes reporters du Mali, cité par l'hebdomadaire Jeune Afrique, qui souligne par ailleurs que Boukary Daou est incarcéré depuis une semaine sans qu’aucune procédure judiciaire n’ait été entamée.

En signe de protestation, les journalistes des médias privés maliens entendent donc garder le silence "jusqu’à la libération de [leur] confrère arrêté" et ont annoncé dans un communiqué qu’une plainte allait être déposée contre l’État "pour arrestation arbitraire". "Le soutien de nos confrères de la presse privée et de la presse d’État est total. De mémoire de journaliste, je n’ai jamais vu ça !", se félicite Assane Koné, rédacteur en chef du Républicain, joint par FRANCE 24, qui explique que sa rédaction est "vraiment sous le choc" depuis l’arrestation de son directeur de la publication. Bien qu’"il ne se passe pratiquement pas un jour sans que la sécurité d’État ne vienne visiter la rédaction", le journal avait, jusque là, continué à paraître et à raconter l’affaire dans ses colonnes.