Érigé au rang de favori par les bookmakers, le cardinal philippin Luis Antonio Tagle pourrait créer la surprise en succédant à Benoît XVI. Portrait de ce conservateur, ecclésiastique cathodique et moderne.
Avec son sourire juvénile et sa bonne humeur communicative, il pourrait aisément passer pour la nouvelle idole des jeunesses catholiques. Le Philippin Luis Antonio Tagle, le cadet des cardinaux, âgé de 55 ans - et n’en paraissant que 40 - semble presque trop jeune pour siéger au conclave qui s’ouvre mardi 8 mars au Vatican. Et pourtant, ce cardinal, dignité à laquelle il a été élevé il y a quatre mois seulement, en novembre 2012, est aujourd’hui sur toutes les listes des "papabili", c’est-à-dire ceux qui peuvent prétendre au poste de souverain pontife.
S’il est élu parmi les 115 cardinaux électeurs, Luis Antonio Tagle, soutenu par une communauté de 80 millions de catholiques philippins, deviendrait le premier pape asiatique au sein de la curie romaine. Et ses chances ne sont pas minces. Pour preuve, les bookmakers le donnent désormais parmi les favoris.
Il faut dire que Luis Antonio Tagle, surnommé affectueusement "Chito" aux Philippines, est un personnage singulier. Affable et érudit, il passe auprès de ses ouailles pour un homme à la fois humble et brillant, charismatique et accessible, moderne et traditionnel. Un savant dosage de ses qualités d’homme d’Église et d’homme de chair qui lui valent aujourd’hui non seulement une renommée grandissante mais aussi une réputation quasi-mythique. "J'étais étonné car il pouvait réciter le rosaire et tous les mystères dès l'âge de 3 ans", assure le père Roméo Ner, 72 ans, un de ses mentors, interrogé par l’AFP, qui souligne l’intelligence hors du commun de son protégé. "Il était toujours le premier de la classe", se souvient encore le religieux.
Théologien brillant et conservateur
Partout où il est passé les compliments pleuvent sur ce prêtre philippin, dont les prêches attirent quotidiennement des milliers de personnes dans son pays. "Je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi brillant intellectuellement et possédant de telles qualités humaines", raconte un autre de ses anciens professeurs, le père jésuite Catalino Arevalo au quotidien français "Le Figaro". Même aux États-Unis, où Tagle est envoyé à la fin de ses études pour son doctorat de théologie à la Catholic University of America, son professeur Joseph Komonchak, un des théologiens les plus réputé du pays, se montre admiratif. "C’est l’un des meilleurs étudiants que j’aie eus en 40 années d’enseignement […] Il aurait pu devenir l’un des plus grands théologiens d’Asie."
Pour autant, sur le plan doctrinal, Tagle ne bouleverse pas le dogme catholique et rentre dans le rang. Il se montre assez conservateur : il est contre l’avortement et contre la contraception. Il s’est aussi fermement opposé à la loi sur la procréation assistée qui a suscité un large débat aux Philippines. Mais pouvait-il en être autrement pour cet homme venu d’un pays résolument catholique et pieux qui n’autorise toujours pas le divorce ?
Liturgie cathodique
C’est donc plutôt sur la forme que ce cardinal détonne. "Chito" passe pour un maître de la communication 2.0. Très actif sur les réseaux sociaux, il compte près de 130 000 fans sur sa page Facebook qu’il alimente quotidiennement. Son compte Twitter affiche 2 100 abonnés, bien qu’il n’ait "gazouillé" que huit fois depuis novembre 2011.
Adepte de la liturgie cathodique, il exploite aussi son talent de communicant dans The Word Exposed, une émission diffusée toutes les semaines sur la plus grande chaîne philippine. "Les jeunes veulent être connectés. C'est la base de la foi : être connecté à Dieu, connecté aux autres, à l'Église. Nous devons revenir à ce fondement", avait-il déclaré lors d’un séminaire à Manille.
Dans ses sermons, à l’église, il se révèle aussi un orateur de talent qui n’hésite pas à rire ou à pleurer devant ses fidèles. "Ses prêches sont si vivants ! Ceux qui l'écoutent sont heureux et rient car il sait aussi être drôle. Et lorsqu'il est ému aux larmes, tout le monde pleure avec lui, mais ce sont des larmes de joie", raconte Maria Elena, une de ses paroissiennes au "Journal du dimanche".
"Jeune pousse un peu tendre"
Au fil des ans, ses discours ont évolué et encouragé l’Église à se concentrer davantage sur les besoins des plus démunis. C’est d’ailleurs ce combat contre la pauvreté qui lui a valu cette immense popularité. Avant de servir Dieu, l’archevêque de Manille avait choisi de servir les hommes, et voulait devenir médecin. "Comment un jeune prêtre peut-il avoir envie de ‘perdre son temps’ à servir l’Église dans un endroit aussi déshérité ?", avait-il confié, plus jeune, après avoir visité un bidonville dans le sud de Manille.
Reste à savoir si ce cardinal d’une nouvelle trempe a les épaules suffisamment larges pour diriger une maison de 1,2 milliard de fidèles. Pourra-t-il, comme Jean-Paul II en son temps, créer la surprise au Vatican ? Rien n’est moins sûr. Car si sa jeunesse est un atout certain, elle est aussi son pire ennemi et sa principale faiblesse. Tagle qui se qualifie lui-même de "jeune pousse un peu tendre" ne connaît pas grand-chose à la curie romaine et aux lourdeurs de son fonctionnement, alors même que la réforme du Saint-Siège devrait être l’un des chantiers prioritaires du prochain pape.