logo

Marseille-Provence 2013 : le coup de gueule des rappeurs marseillais

La capitale européenne de la culture 2013, Marseille, ne fait pas briller les yeux de tous les Marseillais. Les rappeurs de la ville, qui ont donné au hip-hop français ses lettres de noblesse, fustigent un projet "vidé de toute essence locale".

"Marseille tourne le dos à ses enfants les plus talentueux." Le jugement d’Akhenaton, leader de l’emblématique groupe de rap marseillais IAM, est sans appel, un mois après l’inauguration de l'événement Marseille-Provence 2013 (MP2013), qui consacre la cité phocéenne capitale européenne de la culture en 2013. En écartant de sa programmation le rap marseillais, ses organisateurs se sont rendus, selon lui, coupables d'"une forme très triste d’ultra-snobisme provincial […] horripilante".

Le verbe précis et cinglant de Keny Arkana, petit génie du rap, n’a pas non plus épargné l’événement qui prétendait, grâce à un financement public de 600 millions d’euros, bâtir une nouvelle image dynamique de Marseille, loin des règlements de compte mafieux, de la corruption, des trafics de drogue et de la pauvreté. Un rabotage si efficace que la cité y a perdu son identité, dénonce la jeune femme. "Où est passée la ville du bled ? Paraît que ce temps est révolu. Capitale de la culture européenne… Si c’était une blague, c’est sûr qu’on ne l’aurait pas cru", raille la jeune rappeuse dans son morceau "Capitale de la rupture".

La romancière Minna Sif, auteur de "Massalia Blues" n’est pas non plus en reste. "Le programme est vidé de toute essence marseillaise. Les acteurs de la vie culturelle locale ont été tenus à l’écart et l’exemple du hip-hop est le plus sidérant", s’insurge-t-elle. Déjà en janvier dernier, au lendemain de l’inauguration en grande pompe de MP2013, l’écrivaine marseillaise publiait une tribune assassine dans le quotidien Libération dans laquelle elle fustigeait "l’ignominie des décideurs, ces peureux d’une culture pour tous". "Ainsi, nul lieu dédié au hip-hop. Pourtant, Marseille est une capitale du rap dont la réputation a franchi les frontières de l’Hexagone", écrivait-elle.

"Watt !" ne convainc pas les rappeurs

Les membres du groupe IAM, associés à d’autres acteurs de la scène rap marseillaise, avaient proposé la création d’une maison du hip-hop, un projet au long court dépassant largement la date du 31 décembre 2013, dont l’objectif était de donner aux jeunes rappeurs un lieu de création, d’encouragement et d’appui. Le projet prévoyait notamment l’organisation de soirées à micro ouvert pour "redynamiser ce qui a fait le succès de Marseille il y a quelques temps". Le projet a été refusé. "C’était le minimum que Marseille pouvait faire, vu le nombre de lieux dédiés à l’opéra et aux statues en papier mâché qui existent", regrette Akhenaton.

Pourtant, quand Marseille a commencé à nourrir des rêves de capitale culturelle européenne en 2007, le dialogue s’était noué presque naturellement entre les responsables de la ville et les figures de la culture populaire. "Nous avons été très sollicités pendant la candidature de Marseille, expliquait Imhotep, membre d’IAM, lors d’un point presse organisé en juillet dernier. Ce qui a été mis en avant, ce qui a permis à Marseille de décrocher l’organisation de la capitale européenne de la culture, ce sont les cultures urbaines […] et la mixité des cultures. Subitement, du jour où [la ville a été désignée], on ne nous a plus calculé."

Les organisateurs se défendent d’avoir tourné le dos à la "culture populaire". "Nous, nous parlons de cultures urbaines dans un sens plus large, explique Claire Andries, en charge de la programmation de MP2013. Cela comprend aussi des graffeurs, des artistes contemporains. Nous avons travaillé sur une hypothèse d'élargissement esthétique." Les organisateurs font notamment valoir "Watt !", un projet de résidences croisées de musiciens arabes, américains et français issus des cultures hip-hop, électro et jazz. N’y ont pour autant pas été associés les rappeurs marseillais qui, grâce à l’incontournable IAM ou Fonky Family dans les années 1990, puis plus récemment 3e Œil, Psy4 de la rime ou Keny Arkana, ont fait gagner ses lettres de noblesse à la culture hip-hop française bien au-delà des frontières nationales.

"Watt !" n’a pas plus convaincu les rappeurs marseillais que le Comité européen de surveillance et de conseil pour la capitale européenne. En mai 2012, il constatait déjà la sur-représentation de la "culture haute" et recommandait "de trouver un équilibre avec plus d'événements participatifs et divertissants". Du coup, Marseille a souhaité rectifier le tir en invitant le DJ David Guetta pour un concert payant - et cher : entre 44 et 59 euros la place - subventionné à hauteur de 400 000 euros par la mairie de la cité phocéenne. Ce qui n’a pas manqué d’agacer plus d’un habitant de la ville, bien au-delà des cercles culturels. Le collectif d’artistes Alter Off a ainsi dénoncé une subvention qui n’est "qu’une nouvelle preuve de la piètre conception de certains de ce qu’est la culture".


Avec dépêches

Tags: France, Culture,