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Darina al-Joundi ou l'hymne à la France républicaine et laïque

Dans son spectacle "Ma Marseillaise", actuellement sur les planches, la comédienne libanaise raconte sa quête pour obtenir la naturalisation française mais aussi l'importance de la laïcité dans son pays d'adoption.

C’est un chant, un cri du cœur. Sa "Marseillaise", la comédienne libanaise Darina al-Joundi la chante à tue-tête sur la scène du théâtre de la Bruyère à Paris depuis le 22 janvier. L’objectif ? Obtenir la nationalité française. Mais derrière l’évocation de ce parcours du combattant pour arracher ce "droit simple et basique de se déplacer", l’artiste dont le précédent spectacle "Le jour où Nina Simone a arrêté de chanter" a rencontré un vif succès en 2007, rappelle son attachement à la laïcité, un bien précieux pour lequel des générations de féministes arabes se sont battues avant elle.

"C’est aujourd’hui, c’est le jour, c’est mon jour. Mon dernier rendez-vous avant la naturalisation. J’en ai bavé pour en arriver là. Mais j’y suis, c’est ça le plus important", raconte la comédienne, les yeux noirs soulignés de khôl, pieds nus dans une robe indigo. Darina al-Joundi arpente la scène pour raconter son histoire mais aussi celle plus universelle de femmes, à travers Noun, son personnage.

La France, le pays le plus "laïc au monde"

Née à Beyrouth d’un père syrien et d’une mère libanaise, elle est devenue artiste dès l’âge de 8 ans. Séries télévisées, cinéma… la fillette voyage dans tout le monde arabe mais aussi en Europe. Considérée comme une "pute" parce qu’elle était comédienne, internée et battue par les hommes proches de sa famille parce qu’on la prenait pour une "folle", trop libre pour vivre dans un pays pétri de traditions patriarcales, la comédienne décide de quitter le Liban son pays natal. "En 2005, j’ai décidé de partir de Beyrouth pour venir vivre définitivement en France", raconte l’auteur.

Ce choix, elle le justifie tout simplement. "C’est le pays le plus laïque au monde. J’ai cherché avant de prendre cette décision, confie Darina al-Joundi. J’ai essayé d’autres continents, je me suis posé la question. Mais la France reste encore mille fois mieux que d’autres pays."

"Je suis l'immigration choisie"

Commence alors l’épreuve de la quête du précieux Graal : le passeport français. "Quand j’étais en train de faire mes papiers, j’essayais de regarder les autres visages de lire en eux pour essayer de savoir par quoi ils étaient passés pour en arriver là", raconte la comédienne. Avec un humour parfois grinçant, Darina al-Joundi dresse ainsi le portrait au vitriol d’une administration dépourvue de toute humanité. Les questionnaires de culture générale, les papiers "certifiés conforme" à fournir, les entretiens à la préfecture dans des salles sans aucune intimité et surtout "La Marseillaise". Cet hymne national que Noun chante pendant tout le spectacle avant son rendez-vous pour devenir "l’immigration choisie".

Seule sur scène, Darina al-Joundi prend à témoin toutes les féministes du monde arabe. Huda Shaarwi, mère du féminisme arabe dans les années 1920 et vice-présidente de la première conférence du droit des femmes dans le monde ; Nabawia Moussa, "première fille qui a fait face à l’occupant anglais au début du XXe siècle au Caire pour avoir le droit de se présenter au bac" ; Taslima Nasreen, écrivaine bangladaise militant contre l’obscurantisme religieux ; mais aussi des anonymes comme Fatma ou Raja qu'elles a rencontrées lors de ses voyages dans les pays arabes… Toutes ces femmes, telles les ombres chinoises dessinées sur les paravents tendus de papier blanc, entourent la comédienne. Elles ne font qu’un avec elle.

Une "voix parmi les voix"

Cet héritage menacé par la montée de l'obscurantisme religieux, Darina al-Joundi entend le faire perdurer. Car la comédienne au verbe haut ne veut pas "se taire" face au recul de la laïcité dans son pays d'adoption. "Monsieur, j’ai bien rempli tous les papiers […] je connais par cœur 'La Marseillaise', paroles et musiques, je sais qui est Bouillé, mais je vous demande de me signer un papier et de me garantir que la république restera républicaine, libre, juste, égale et laïque", lance Noun sur scène. "C’est triste de savoir qu’il y a des filles qui se battent pour porter le voile. Elles s’imposent elles-mêmes une obligation que ni la religion, ni la société ne leur demande", déplore Darina al-Joundi. "Qu’est ce que la société, l’école publique laïque, la république ont fait pour accueillir cette jeunesse qui se sent tellement perdue qu’elle a confondu l’identité et la religion ?", s’interroge-t-elle. Faire des lois pour interdire le port du voile intégral, n’aboutit qu’à victimiser des jeunes filles en perte de repères. "Il faut qu’elles veuillent d’elles-mêmes être libres pour qu’elles le soient."

Darina al-Joundi se défend pourtant d’être féministe. "Je ne peux pas être militante car je n’ai pas le temps. Être féministe, c’est se consacrer toute sa vie à se combat", martèle la ténébreuse brune qui tour à tour, chante, pleure, rit sur scène. "Je suis simplement une auteur, comédienne qui essaye de crier ce qui lui fait mal. Si ça correspond à l’autre tant mieux", ajoute celle qui se plaît à se qualifier de "voix parmi les voix".

Liberté, laïcité... la bataille n’est pas terminée. Loin de là. Si Darina al-Joundi a fini par obtenir son passeport français le 31 janvier 2012, Noun, son double continue à œuvrer pour l’arracher. "Je l’ai eu grâce au spectacle", avoue la comédienne qui a attiré l’attention de l’administration lors des premières représentations à Avignon en 2012. "Moi Darina, je suis comédienne-auteur, j’ai la chance d’en parler pour faire changer les choses pour moi. Mon double Noun ne l’a pas encore. Elle va se battre encore", souligne l’artiste avant d’ajouter dans un grand éclat de rire  : "Aux armes citoyens !"