Durant plusieurs mois, l’idée d’une intervention au Mali a suscité la crainte d'une possible "afghanisation" du conflit. Trois semaines après le début de l'opération Serval, cette théorie est balayée par les spécialistes.
La tentation de dresser un parallèle entre la guerre au Mali et celle en Afghanistan est grande : dans les deux pays, en effet, les frontières sont poreuses et les islamistes ont pour sanctuaires des grottes dans des zones montagneuses.
Par ailleurs, si les forces françaises ont réussi une reconquête éclair du Nord-Mali, le plus dur reste à faire désormais. À savoir : parer la menace terroriste. À la guerre conventionnelle qui vient de se dérouler pourrait succéder une phase de guérilla avec des risques d’attentats. Un scénario qui n’est pas sans rappeler la guerre en Afghanistan qui dure depuis plus de dix ans...
La secrétaire d'État américaine sortante, Hillary Clinton, fait ainsi partie de ceux qui ont fait ce parallèle, tant en matière d’enjeux que de lutte contre la nébuleuse d'Al-Qaïda et d'aspects du terrain : "La menace sera sérieuse et durable, car si l'on regarde la taille du nord du Mali, ce n'est pas que du désert : il y a des grottes, cela rappelle quelque chose...", a-t-elle déclaré le 23 janvier.
Pas d’enracinement populaire des djihadistes au Mali
Mais cette comparaison est loin d’être justifiée, selon de nombreux observateurs, qui distinguent clairement ces deux conflits. "Parler de l’'afghanisation' du conflit au Mali est totalement inapproprié", commente par exemple Pierre Jacquemot, spécialiste de l’Afrique et auteur de l'ouvrage : "Le Mali, le paysan et l’État". D’abord parce que Bamako n’est jamais tombé sous le contrôle des djihadistes, et ce grâce à l’armée française qui a évité le pire en bloquant leur insurrection vers le Sud". À l'inverse, en Afghanistan, la prise de Kaboul en 1996 par les Taliban avait conduit à l’instauration de la charia dans tout le pays.
L’enracinement populaire n’est pas non plus le même sur les terrains malien et afghan. "Les groupes islamistes implantés dans le Nord-Mali n’ont pas d’appui auprès des populations, indique Philippe Hugon, directeur de recherche Afrique à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). On est donc loin des collusions entre les Taliban et les Pachtounes [vivant majoritairement entre la frontière afghane et pakistanaise]".
"La France va se désengager du volet terrestre"
Au niveau militaire, il est acquis que la France ne souhaite pas s’enliser dans ce conflit, comme ce fut le cas de la mission de l’Otan sur le théâtre afghan. Le président de la République a rappelé, samedi 2 février, lors de sa visite écalir au Mali, que la mission des forces françaises était de passer le relais aux forces africaines.
L’armée française va se désengager du volet terrestre, confirme Pierre Jacquemot, pour ne garder que le personnel non opérationnel, comme les formateurs.
Le chef de l’État français avait auparavant souligné que l’intervention au Mali avait permis "d'enclencher la solidarité de toute l'Afrique à travers la Misma [la force ouest-africaine destinée à supplanter la France sur le terrain]". Et cette donnée souligne bien la différence avec l’Afghanistan, note Pierre Jacquemot.
En effet, les pays voisins du Mali ne semblent pas prêts à laisser les islamistes s’implanter dans la région du Sahel - y compris l’Algérie, souvent accusée de tenir un rôle ambigü comparable au double-jeu mené par le Pakistan. "L’Algérie a montré une attitude bienveillante vis-à-vis de l’armée française en autorisant, notamment, le passage de Rafale dans son espace aérien", précise Pierre Jacquemot. En menant l’assaut contre les islamistes durant la prise d’otages à In Amenas, Alger a clairement affiché sa position. "Même si Alger n’intervient pas directement dans le conflit, il n’a aucun intérêt à voir les islamistes se replier sur son territoire", conclut-il.