
Bruno Retailleau et Laurent Nunez, le 23 septembre 2024, à La Courneuve. © Dimitar Dilkoff, AFP
Se réjouissant de la grâce accordée par l’Algérie à Boualem Sansal, le président de la République française Emmanuel Macron et son Premier ministre Sébastien Lecornu ont tous les deux évoqué, mercredi 12 novembre, une libération qui est le "fruit d'une méthode faite de respect et de calme". Une façon de souligner que l’actuel gouvernement a bien fait de prendre ses distances avec la doctrine de l’ancien ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, faite d’invectives et de menaces en direction d’Alger.
L'Algérie a accepté une demande de l'Allemagne de gracier et transférer l'écrivain franco-algérien de 76 ans, emprisonné depuis un an en Algérie, pour qu'il puisse être soigné, selon un communiqué de la présidence algérienne.
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune "a répondu favorablement" à une demande de son homologue allemand Frank-Walter Steinmeier, "concernant l'octroi d'une grâce en faveur de Boualem Sansal". Cette demande "a retenu son attention en raison de sa nature et de ses motifs humanitaires", détaille le communiqué.
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Accepter Gérer mes choix"Je prends acte de ce geste d'humanité du président Tebboune et l'en remercie. Je reste évidemment disponible pour échanger avec lui sur l'ensemble des sujets d'intérêt pour nos deux pays", a déclaré Emmanuel Macron en marge d’un déplacement à Toulouse.
"Nous avons travaillé en transparence avec nos amis allemands comme tiers de confiance et je remercie sincèrement le président Steinmeier de s'être rendu disponible", a-t-il ajouté, semblant démontrer que Paris et Berlin ont agi de concert.
"Il était nécessaire qu’un pays tiers intervienne afin de ne pas humilier le pouvoir algérien. Ça faisait un moment qu’on entendait parler de cette solution pour que tout le monde sorte par le haut", a également affirmé le sénateur Les Républicains (LR) Cédric Perrin, président de la commission des Affaires étrangères du Sénat, cité par Public-Sénat.
"Le bras de fer ne fonctionne pas"
Alors que les relations entre la France et l’Algérie se sont particulièrement dégradées ces derniers mois, la nomination de Sébastien Lecornu à Matignon et l’arrivée en octobre place Beauvau de Laurent Nunez en remplacement de Bruno Retailleau ont changé la donne.
Que ce soit au sein du gouvernement Barnier ou du gouvernement Bayrou, le patron du parti LR n’avait eu de cesse de réclamer la libération de Boualem Sansal par des déclarations publiques offensives. Bruno Retailleau se disait ainsi, dès décembre 2024, "partisan d’une politique de fermeté" avec l’Algérie. Et il déclarait encore, en juillet 2025, que "la diplomatie des bons sentiments [avait] échoué" et qu’il fallait "assumer un rapport de force que le pouvoir algérien a lui-même choisi".
Laurent Nunez a adopté un style radicalement différent, permettant de reprendre des discussions dans la plus grande discrétion entre les deux pays et, petit à petit, le dossier Boualem Sansal a pu avancer.
"Le bras de fer ne fonctionne pas" dans les relations avec d'autres "États souverains" comme l'Algérie, a estimé mercredi soir l'Élysée. "Il est, entre les États comme dans la vie, douteux que l'on obtienne les meilleurs résultats en se fâchant avec les gens que l'on sollicite", a dit à la presse un conseiller d'Emmanuel Macron à qui un journaliste demandait si le départ du gouvernement de Bruno Retailleau avait facilité cette libération.
Signe de sa volonté de réparer la relation entre les deux pays, Emmanuel Macron avait adressé une lettre à Abdelmadjid Tebboune à l'occasion de la Fête de la Révolution algérienne, le 1er novembre, dans laquelle il affirmait qu'"un dialogue bilatéral franc, respectueux, d'égal à égal et répondant à l'intérêt de nos deux populations est le seul moyen de reprendre les coopérations les plus essentielles, en priorité dans les domaines sécuritaire, consulaire et migratoire".
"Une rupture dans la forme"
Et alors qu’il avait lui-même participé à envenimer les relations avec Alger en affirmant en 2021 que l’Algérie s’était construite sur une "rente mémorielle" entretenue depuis son indépendance par "le système politico-militaire", Emmanuel Macron a également fait le choix dans cette séquence d’utiliser le souvenir de la guerre d’Algérie. Il a ainsi demandé à l’ambassadeur de France en Algérie Stéphane Romatet, rappelé en France depuis avril et qui n’a toujours pas regagné son poste, de prendre part, le 16 octobre à Paris, à une cérémonie d’hommage aux victimes du 17 octobre 1961, selon Le Figaro. La police de Maurice Papon avait ce jour-là réprimer violemment une manifestation du FLN dans la capitale française, jetant plusieurs dizaines d’Algériens dans la Seine.
Un virage à 180° avec la méthode Retailleau revendiqué par Laurent Nunez, qui évoquait dès le 19 octobre sur France Inter "une rupture dans la forme". "Ceux qui font croire aux Français que le bras de fer et la méthode brutale sont la seule solution, la seule issue, se trompent. Ça ne marche pas, dans aucun domaine", a-t-il par la suite affirmé dans un entretien publié le 1er novembre dans Le Parisien, quelques jours après le vote à l’Assemblée nationale d’une résolution du Rassemblement national visant à "dénoncer" l’accord franco-algérien de 1968.
Le ministre de l’Intérieur y regrettait notamment que "le canal [soit] totalement coupé aujourd’hui avec Alger", pointant l’arrêt total des coopérations migratoire et sécuritaire entre les deux pays.
Laurent Nunez révélait toutefois dans cette même interview avoir été invité en Algérie par son homologue algérien, signe d’un possible apaisement des relations entre Paris et Alger. La libération de Boualem Sansal, qui doit arriver mercredi soir en Allemagne, vient désormais renforcer cette hypothèse.
Emmanuel Macron, qui a remercié son homologue algérien pour ce "geste d'humanité", s'est d’ailleurs déclaré "disponible pour échanger avec lui sur l'ensemble des sujets". De son côté, Bruno Retailleau s'est contenté d'un court message sur X pour dire son "immense soulagement".
