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Cameroun – RD Congo : 5 matches historiques entre les Léopards et les Lions dans la quête du Mondial
Le Cameroun et la RD Congo s'affrontent jeudi à 20 h (heure de Paris) en demi-finale des barrages africains pour le Mondial 2026. La confrontation entre ces deux géants d'Afrique est un nouvel épisode d'une rivalité entre deux nations qui se souvent qualifiées aux dépens de l'autre.
Photo d'illustration. Roger Milla a inscrit un quadruplé historique en 1981 contre le Zaïre pour emmener le Cameroun à la Coupe du monde. © Guilio Broglio, AP

Les barrages africains pour la Coupe du monde 2026 offrent un joli clin d’œil à l’histoire du football africain. La RD Congo et le Cameroun se retrouvent face-à-face. Les deux nations sont en effet les deux premières d’Afrique subsaharienne à avoir représenté le continent au grand rendez-vous du football mondial, même si la RD Congo se nommait alors Zaïre.

Hasard du tirage au sort, les deux équipes se sont trouvées sur le chemin l’une de l’autre pour conquérir leur premier ticket pour le Mondial, alors que les gouvernements avaient chacun fait du football un outil de démonstration de puissance et de valorisation de leurs choix politiques.

En 1973, le choc de deux nations ambitieuses

Premier rendez-vous en 1973. À cette époque, les 24 équipes sont réparties en 3 tableaux de 8 équipes avec trois tours à élimination directe. Les trois vainqueurs se retrouvent ensuite pour une poule unique où chacun s'affronte en aller-retour. L'équipe survivante gagne alors le droit d'être l'unique représentant en Allemagne.

Les deux équipes sont alors placées dans le même tableau. Profitant du forfait du Gabon, le Cameroun est directement qualifié pour le deuxième tour. De son côté, le Zaïre découvre lui les éliminatoires de la Coupe du monde, après avoir boycotté l'édition 1966 comme tous les pays africains et avoir raté l'inscription administrative en 1970.

Le Zaïre se défait facilement du Togo (4-0 sur l’ensemble des deux matches). La politique sportive de retour des "Belgicains", les Africains vivant en Belgique, a du succès : 4 finales consécutives pour le TP Mazembe (deux victoires) en coupes africaines de clubs et un titre de champion d’Afrique en sélection en 1974. Il ne manque qu'une qualification en Coupe du monde pour compléter le palmarès des Léopards.

Le Zaïre, vainqueur à Douala

"Le Léopard du Zaïre affronte le Lion du Cameroun" titre Elima, le journal du soir kinois, histoire de lancer les hostilités quelques jours avant le match aller qui doit se dérouler au Cameroun. Les poulains du sélectionneur yougoslave Blagoje Vidinic, qui a qualifié le Maroc 4 ans plus tôt, sont déterminés : ils vont au Cameroun "pour gagner et non pour perdre". Un an après avoir perdu le match de classement de la CAN 1972 contre ce même adversaire, "le moral de tout le monde est au zénith", prévient-il.

Cameroun – RD Congo : 5 matches historiques entre les Léopards et les Lions dans la quête du Mondial
"Nous y allons pour gagner et non pour perdre", assure le sélectionneur dans la presse. © Archive Elima

Le 4 février 1973, les Léopards prennent en effet le meilleur sur les Lions indomptables (1-0). "Je me souviens comme si c’était hier", confie à France 24 le Camerounais Michel Kaham, présent sur le terrain. "Le match aller était à Douala. Ils nous ont battus 1-0. C’était un but de Toumba, très tôt. À la première minute, je n’avais même pas encore touché le ballon en tant que latéral droit…".

Pour le quotidien Elima, "le football zaïrois qui a été souillé l’année (précédente) a été réhabilité au vu et au su du public camerounais (…) Les Léopards ont pris leur revanche, une revanche qui leur ouvre grandement le chemin de la qualification qu’ils doivent obtenir à Kinshasa."

Des Lions indomptables lors du match retour

Trois semaines plus tard, place "au dernier round", toujours selon le quotidien kinois. Les Lions camerounais ne s’annoncent pas pour autant vaincus, ils ne " (sont) pas venus en touristes", annonce Peter Schnittger, leur sélectionneur allemand. L’équipe rajeunie va surprendre les Zaïrois au stade du 20-Mai (1-0, but de Ndongo).

Le journal Elima souligne le "travail de cheval" de la défense camerounaise, et note l’entrée d’un jeune joueur, Roger Milla : "Avouons que pour lui, les Lungwila, Ngoy et Mandiki n’existaient pas. Ce garçon possédait un dribble insolent, déroutant et exceptionnel."

Cameroun – RD Congo : 5 matches historiques entre les Léopards et les Lions dans la quête du Mondial
"Dernier round" ? Finalement non puisqu'il faudra recourir à un match d'appui. © Archive Elima

État d'urgence et hélicoptère : Mobutu s'immisce dans le match d'appui

Une victoire pour chaque équipe, un match d’appui doit donc avoir lieu sur terrain neutre, selon les règles en vigueur à l'époque. Seulement Mobutu Sese Seko, l'autocrate à la tête du pays, ne l'entend pas de cette oreille. Lui qui promeut "l'authenticité du Zaïre" à tout prix, notamment via des voyages en Chine, Inde, Sénégal, ou Belgique, souhaite assurer un résultat positif à ces joueurs. "Le dernier épisode Léopards - Lions" aura donc lieu à Kinshasa. 

" Il nous suffisait de traverser le fleuve", se souvient Michel Kaham. "Et nous pouvions jouer au Congo voisin deux jours plus tard. Mais, à ce moment, Mobutu a décrété un état d’urgence et décidé que personne ne pouvait quitter le Zaïre. On a donc joué le match d’appui à Kinshasa devant leur public bien chaud"

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Le "dernier épisode" entre les Léopards du Zaïre et les Lions indomptables du Cameroun aura finalement lieu à Kinshasa. © Archive Elima

Et le latéral de raconter l'arrivée particulière du dictateur zairois :

"Le jour du match, Mobutu arrive en retard au stade, en hélicoptère et se pose dans le rond central. Le match a été interrompu le temps qu’il se pose, et puisse repartir. Mobutu a reçu son ovation et excité le public. On a finalement perdu le match dans des circonstances très bizarres. Ils ont inscrit leur deuxième but dans les dernières minutes et nous avons subi des violences. Des joueurs comme Tatchoum ont même reçu des coups de matraque", affirme Michel Kaham.

En l’emportant 2 buts à 0, le Zaïre se qualifie pour le troisième tour où il éliminera le Ghana. Puis, se qualifie pour la Coupe du monde 1974 en terminant invaincu du tour final.

La Coupe du monde sera cependant un long chemin de croix pour les champions d’Afrique 1974. Ils termineront derniers du groupe II, encaissant 14 buts et notamment un mémorable 9-0 contre la Yougoslavie.

En 1981, le football camerounais est monté en puissance

Huit ans plus tard, le tirage au sort offre une autre confrontation décisive entre les deux équipes. La Coupe du monde s'est élargie à 24 équipes et l’Afrique dispose donc désormais de deux places dans la compétition. Pour se qualifier, il faut remporter un des deux tableaux avec quatre tours de qualification chacun. Après avoir éliminé le Mozambique et Madagascar, le Zaïre retrouve au troisième tour éliminatoire le Cameroun qui s’est défait du Malawi et du Zimbabwe.

Les deux équipes ont eu des trajectoires opposées depuis la confrontation de 1973. Le Zaïre est lentement rentré dans le rang à la suite de difficultés économiques du pays dues à la baisse des cours du cuivre. Conséquence directe : le départ de nombreux internationaux zaïrois à l’étranger, à l’opposé du mouvement initié une quinzaine d’années plus tôt. La presse fait alors grand cas des départs de Mayele et Mutumbile Santos, qui sont partis respectivement en Côte d’Ivoire et au Ghana.

Le Cameroun, quant à lui, est sur une pente ascendante. Les clubs camerounais dominent alors les compétitions africaines. En 1979, le Canon de Yaoundé et l'Union de Douala ont fait le doublé Coupe des champions - Coupe des Coupes. Les clubs camerounais ont également remporté trois Coupes des clubs champions consécutives entre 1978 et 1980, la dernière ayant été remportée par Canon de Yaoundé contre le club zaïrois de AS Dragons Bilima. Les circonstances de cette finale font figure du changement d'ère en Afrique : les Canonniers l’ont emporté à Kinshasa (3-0) après avoir concédé le match nul à domicile (2-2 à Garoua).

Le public, force du Zaïre

Le rapport de force s’est inversé. "Avec toute objectivité, la balance penche du côté des Camerounais", concède alors Elima qui souligne la qualité des joueurs camerounais et le rappel de leurs professionnels. "Le peuple zaïrois doit soutenir ses fils", "ce dimanche ou jamais" : Les appels à la mobilisation de la presse zaïroise sont sans équivoque avant de recevoir les Lions indomptables en match aller de cette confrontation.

Le 12 avril, les Léopards prennent rapidement l’avantage grâce à un but de Nkama à la 24e minute. Malgré une bonne deuxième mi-temps, les Camerounais ne reviendront pas. "Les Léopards désillusionnent les Lions indomptables : 1-0 ", titre alors Elima qui insiste sur les qualités mentales de l'équipe locale : "Le public s’attendait à une défaite lourde des Léopards. Mais comme on dit, en football, les jours se succèdent mais ne se ressemblent pas. Ainsi les nôtres ont prouvé qu’avec un peu de volonté, il y a moyen de changer complètement la physionomie d’une équipe que tout le monde sous-estimait."

Pour le quotidien kinois, l'ingrédient principal de cette victoire est à aller chercher du côté des supporters : "Tous les Zaïrois ont soutenu comme un seul homme leur équipe nationale. Contrairement à ce qui se passe d’habitude, personne n’a soutenu l’équipe camerounaise."

Quadruplé de Milla et naufrage zaïrois : "le match de la honte"

Quinze jours plus tard, l’ambiance est cependant totalement différente. Sur le plan sportif, le sélectionneur camerounais décide de se passer de son capitaine Jean Manga Onguene. Roger Milla, arrivé la veille, remet rapidement les deux équipes à égalité sur les deux matches dès la troisième minute.

C’est le début d’un festival offensif pour l’avant-centre qui inscrit au total un quadruplé. Les Lions indomptables l’emportent sur le score sans appel de 6 buts à 1. Le gardien Nsiampasi (surnommé par les Camerounais Siampassoire) est même remplacé après le 4e but des Lions

Roger Milla se souvient : "Les matches avec le Zaïre, c’étaient toujours de très grands matches. Nous voulions effacer la débâcle de 1972. On voulait montrer que le Cameroun a toujours eu de grands joueurs. C’est vraiment ce qui nous motivait".

"C’est le match de la honte", pour Elima qui rappelle qu’un tel écart ne s’est jamais vu dans l’histoire zaïroise. "Le score ridiculise vraiment les ambassadeurs zaïrois. Et il ne fait aucun doute que ces derniers ont fait la honte de notre football. Car jamais dans l’histoire des Léopards, pareille médiocrité n’a été enregistrée."

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La presse cherche alors des responsables : "nous n’avons besoin que des explications claires. 6 buts à 1, le score nous fait pleurer. Nous voulons qu’on nous dise pourquoi cette débandade ?"

Côté camerounais, Cameroon Tribune titre "Déroute du Zaïre face au Cameroun 1-6". Le quotidien national rappelle que c’était le "match qu’il fallait gagner" et qu'avec cette victoire des Lions indomptables, le mythe de l’invincibilité zaïroise face aux nôtres s’est effondré comme un château de cartes".

L'obstacle zaïrois effacé, le quotidien se projette vers la suite : " Reste le dernier tour, que les nôtres, grâce à la foi et la détermination qui les animent, pourront franchir."

Une prédiction qui a été réalisée, puisque les Camerounais se sont qualifiés pour le Mondial 1982 en disposant du Maroc. Le début d’une décennie de domination du football continental qui les verra se qualifier à deux reprises pour la Coupe du monde (1982, 1990) et remporter deux Coupes d'Afrique (1984, 1988).

Le pronostic de Roger Milla pour 2025 : "On verra."

La course au Mondial 2026 offre aux deux équipes une nouvelle confrontation décisive. Pour quel résultat ? "Difficile à pronostiquer", estime Roger Milla, le héros camerounais des années 1980. "La RDC a de très grands joueurs aujourd’hui et ils ont un football plus simple que nos joueurs qui le compliquent souvent. Si les Lions changent et font moins de simagrées sur le terrain, ils peuvent se qualifier. On verra."

Avec les archives de Elima (RD Congo) et Cameroon Tribune (Cameroun)