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Quand la politique anti-inclusion de Trump s'en prend à des Afro-Américains enterrés aux Pays-Bas
Des panneaux rendant hommage à des soldats afro-américains ayant combattu aux Pays-Bas lors de la Seconde Guerre mondiale ont été récemment retirés d'un cimetière militaire américain. Selon des personnalités néerlandaises, ce retrait est lié à la politique de l'administration Trump qui s'attaque aux programmes de diversité, d'équité et d'inclusion.
Cette photo montre un groupe de soldats du 784e bataillon de chars à Tegelen, aux Pays-Bas, en compagnie de deux Néerlandais. Elle a été prise en mars 1945, lorsque l'unité a été relevée du front pour une période de repos. © Black Liberators in the Netherlands

Le soldat George H. Pruitt était originaire de Camden, dans le New Jersey. En décembre 1942, il est enrôlé dans l'armée américaine et assigné au 43e bataillon de construction des transmissions. Le 10 juin 1945, il se trouvait en Allemagne, à Brême, pour faire passer une ligne de téléphone au-dessus d'une rivière, lorsque l'un de ses camarades est tombé à l'eau. N'écoutant que son courage, il a plongé pour lui porter secours. Georges H. Pruitt y a laissé sa vie à l'âge de 23 ans.

Depuis 80 ans, sa dépouille repose au cimetière de Margraten, situé aux portes de Maastricht, au Pays-Bas, aux côtés de celles de plus de 8 200 autres militaires américains, dont 172 afro-américains. Son destin tragique y était raconté sur l’un des deux panneaux rendant hommage à la mémoire des soldats noirs, longtemps négligés dans l'histoire de l'armée américaine.

Mais comme l'ont rapporté plusieurs médias néerlandais début novembre, ces deux panneaux ont récemment été retirés du cimetière. L'historien Kees Ribbens, professeur d'histoire à l'Université Erasmus de Rotterdam, fait partie de ceux qui ont alerté la presse sur cette disparition. "À la fin du mois d'octobre, j'ai reçu un message indiquant qu'un visiteur du centre d'accueil n'avait trouvé aucune information concernant les soldats noirs", explique-t-il à France 24. "Je ne sais pas avec certitude quand ces panneaux ont été retirés, peut-être dès le printemps", ajoute ce chercheur du NIOD, l'institut néerlandais d'études militaires.

Quand la politique anti-inclusion de Trump s'en prend à des Afro-Américains enterrés aux Pays-Bas
Le panneau racontant le parcours du soldat George H. Pruitt se trouvait dans le centre des visiteurs du cimetière militaire de Margraten, aux Pays-Bas. Foundation Black Liberators in the Netherlands

La ségrégation jusqu'au front

Lors de la libération de l'Europe, plus de 15 000 soldats afro-américains ont été basés aux Pays-Bas. La plupart se trouvaient dans le sud de la province du Limbourg, plaque tournante logistique de la 9e armée américaine d'octobre 1944 à mars 1945. Victime de la ségrégation qui sévissait alors aux États-Unis, ces hommes ont pour beaucoup été cantonnés à des rôles d'intendance dans les dépôts, les boulangeries ou les blanchisseries, ou conduisaient les camions acheminant l'approvisionnement pour le front.

C'est ainsi qu'à l'automne 1944, des soldats afro-américains du 960th Quartermaster Service Company (compagnie de ravitaillement) arrivent dans le nouveau cimetière de Margraten pour y inhumer les soldats tombés au combat dans des conditions particulièrement difficiles, par roulements de 12 heures, pendant trois mois d'affilée.

Interrogé par le site Military Times, le sergent-chef Jefferson Wiggins, décédé en 2013, avait raconté cette expérience traumatisante : "On nous avait enjoint de respecter ceux que nous ne pouvions même pas côtoyer dans la vie. Mais dès le premier jour, nous avons compris que, quelles que soient nos expériences de vie en tant qu'Afro-Américains, c'était notre devoir : mettre de côté nos préjugés, notre couleur de peau et nos peurs, et accorder à ces jeunes Américains l'honneur, le respect et la dignité qu'ils méritaient tant."

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Depuis plusieurs années, des chercheurs néerlandais comme Kees Ribbens se sont donné pour mission de faire connaître ces histoires au grand public. "D'une part, ces récits évoquent la ségrégation qui régnait alors dans l'armée américaine ; d'autre part, ils parlent des Néerlandais, hommes et femmes, enfants de soldats noirs américains, qui souvent n'ont jamais connu leur père", insiste l'historien.

Une rotation des panneaux ?

L'ambassade américaine aux Pays-Bas ainsi que l’American Battle Monuments Commission (ABMC), l'agence gouvernementale des États-Unis chargée de l'entretien des monuments et cimetières militaires américains, sensibilisés à ce sujet, ont contribué à la mise en place en septembre 2024 de ces deux panneaux.

Mais aujourd'hui, ils semblent avoir fait volte-face en les retirant. Contacté par le magazine américain Newsweek, l'ABMC s'est justifié en expliquant que "le centre d'accueil des visiteurs de Margraten comportait 15 panneaux magnétiques conçus pour être retirés et échangés tout au long de la durée de l'exposition afin de mettre en valeur autant d'histoires individuelles que possible". "Le panneau consacré au technicien de quatrième classe George H. Pruitt n'est pas exposé actuellement, mais il continue d'être présenté régulièrement", a ajouté l'ABMC.

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Le second panneau qui a été retiré du cimetière de Margreten et qui était consacré aux hommes du 960th Quartermaster Service Company. © Black Liberators in the Netherlands

Même si Kees Ribbens avoue "ne pas savoir avec certitude ce qui leur est arrivé", il n'est pas convaincu par ces explications. "Le fait que les panneaux aient été retirés si discrètement soulève des interrogations quant aux motivations de cette intervention", souligne-t-il.

L'historien ne manque pas de faire le lien avec la situation politique actuelle de l'autre côté de l'Atlantique : "Les présentations inclusives de l'histoire ne sont pas privilégiées par l'administration américaine." Comme le rappelle Newsweek, depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, certains faits d'armes ont été effacés : "En mars, le cimetière national d'Arlington a retiré de son site web toute référence à l'histoire des militaires noirs et femmes. Le même mois, le Pentagone a rétabli une page web rendant hommage au major-général Charles Calvin Rogers, récipiendaire de la plus haute distinction militaire américaine et vétéran noir du Vietnam, après l'indignation suscitée par sa suppression."

Une réécriture de l'histoire

L'ABMC n'a pas non plus manqué d'être la cible de ces purges. Selon Dutch News, la très influente Heritage Foundation, un groupe de réflexion conservateur, a contacté en mars dernier l'agence gouvernementale pour lui faire part de son manquement aux directives du président américain visant à annuler les programmes de diversité, d'égalité et d'inclusion (DEI). Peu de temps après, la responsable de la diversité de l'ABMC, Priscilla Rayson, a été démise de ses fonctions.

Pour l'historien Kees Ribbens, le retrait des deux panneaux s'inscrit donc dans cette continuité : "Cela pourrait suggérer une réécriture de l'histoire, une tentative de présenter un récit consensuel que l'administration actuelle jugerait sans doute patriotique."

Theo Bovens, sénateur néerlandais et président de la fondation Black Liberators in the Netherlands (Les libérateurs noirs aux Pays-Bas), est lui aussi consterné, mais préfère n'avancer aucune hypothèse. "Pour nous, les raisons importent peu : nous pensons que les panneaux présentaient une histoire juste et équilibrée", insiste auprès de France 24 le président de cette association qui vise à faire connaître la contribution des soldats afro-américains à la libération de l'Europe.

"L'histoire se doit de raconter toute l'histoire. Tous les Européens, quelles que soient leur couleur de peau et leurs origines culturelles, devraient pouvoir être fiers de leurs libérateurs. Il ne s'agit pas d'un élan de bien-pensance, mais d'une question de vérité. Nous leurs devons", ajoute-t-il.

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Un soldat de la 3454e compagnie de camions de ravitaillement aide une petite fille néerlandaise à descendre d'un camion. © Black Liberators in the Netherlands

"Une décision inappropriée et inacceptable"

L'homme politique a donc sollicité une rencontre avec l'ambassadeur américain Joe Popolo, un homme d'affaires qui a soutenu Donald Trump lors de ses campagnes présidentielles. Comme le rapporte le NL Times, onze partis politiques du Limbourg ont également demandé des explications à l'ABMC. "Retirer les panneaux commémorant les sacrifices des soldats afro-américains est un affront à l’histoire, une décision inappropriée et inacceptable", ont-ils déclaré dans un communiqué.

Bas Albersen, porte-parole du gouverneur du Limbourg, a aussi annoncé lundi 10 novembre auprès du journal britannique The Guardian que le gouvernement provincial allait lancer un appel urgent à l'ABMC et à l'ambassadeur des États-Unis pour obtenir la restitution de ces panneaux. "Ces panneaux exposés témoignent d'une histoire que nous ne devons jamais oublier et dont nous pouvons tirer des leçons, surtout aujourd'hui où les divisions dans le monde sont plus que jamais exacerbées", a-t-il affirmé. "Ils se sont battus pour une liberté dont ils étaient privés."