
, envoyés spéciaux au Portugal – Face à un marché du travail sinistré, les jeunes diplômés portugais doivent s'adapter. Si certains ont décidé de créer leur propre start-up, d'autres ont fait le pari de l'agriculture. Portraits.
Sur les rives du Tage, la Baixa semble endormie. Le vieux quartier commerçant de Lisbonne est comme à la retraite avec ses façades fatiguées, ses immeubles inoccupés et sa lenteur. Son visage est celui d’un Portugal résigné, un Portugal en crise. Pourtant, au 30 de la Rua da Prata, la rue de l’Argenterie, un bâtiment détonne. Au rez-de-chaussée, une boutique de souvenirs très conceptuelle, puis sur quatre étages des bureaux rassemblés derrière une large bannière indiquant : "Start Ups Lisboa". À l’intérieur, une fourmilière. Quarante-cinq jeunes entreprises sont installées dans ce lieu, baptisé "incubateur d’entreprises". Ici, malgré l’austérité et la torpeur ambiante, la jeunesse a décidé de tenter sa chance.
Avec un taux de chômage à plus de 16 %, le Portugal subit le contrecoup du plan d’aide internationale débloqué en mai 2011. À l’époque, en échange de 78 milliards d’euros d’argent frais pour apaiser la crise de la dette, le FMI et la BCE avaient exigé du gouvernement des mesures de rigueur drastiques. La baisse des salaires et des retraites s’est accompagnée d’une hausse régulière des impôts, qui devrait encore s’accentuer cette année. La troïka considère le Portugal de Pedro Passos Coelho bon élève.
Mais les opposants à ce plan très impopulaire l’accusent de freiner la consommation et d’accélérer les faillites d’entreprises. Le Portugal devrait connaître en 2013 sa troisième année de récession consécutive.
Luis Martins s’est installé au troisième étage. Son espace de travail est réduit au minimum. Un bureau, un Mac et une poignée de cartes de visite. Comme pour la plupart des jeunes entrepreneurs installés ici, tout se passe sur l’écran de son ordinateur. Pour s’installer dans l’incubateur, les Start Ups doivent travailler en relation avec le Web et proposer des services exportables. Luis a créé Zaask, une plateforme web qui met en relation des professionnels ayant besoin de services spécialisés. "Les clients viennent à la recherche de services locaux comme un plombier, un web-designer ou un photographe, explique-t-il. Et on inclut un système d’évaluation pour permettre à chacun de se créer une réputation en ligne." Luis a lancé le site avec un associé. L'idée est futée et adaptée au contexte économique. "Cette plateforme n’existerait pas ou aurait moins de sens sans la crise, reconnaît l’entrepreneur. Avant, les gens n’avaient pas besoin d’un moyen pour faire connaître leurs compétences, puisqu’ils avaient un emploi."
La Silicon Valley portugaise
Dans les salles communes de l’incubateur, l’atmosphère fait penser à celle de la mythique Silicon Valley. Graffitis aux murs, écrans dans tous les coins, mini-panier de basket, salle de réunion baptisée "salle Steve Jobs". "Le modèle est importé des États-Unis. Un endroit comme ça, où il y a plusieurs entrepreneurs ensemble, ça booste l’optimisme. C’est une sorte d’oasis dans la société portugaise," déclare Luis. Une oasis pour se protéger du contexte économique et se rassurer.
La création de start-ups connaît un engouement certain au Portugal. La crise pousse les nouveaux arrivants sur le marché du travail à prendre des risques. C’est l’analyse que fait Luis : "La culture des jeunes change. Ils savent qu’ils ne peuvent plus compter sur un seul emploi, et encore moins sur un emploi à vie." En moins d’un an, Start-Ups Lisboa a reçu plus de 600 candidatures. Joao Vasconcelos, président de l’incubateur, traîne entre les bureaux sa quarantaine tranquille. "Il y a beaucoup de jeunes cadres qui se retrouvent au chômage, qui peuvent créer leur propre emploi et s’orientent vers des endroits comme ici. Différentes études ont présenté le peuple portugais comme le plus entreprenant d’Europe."
L'attrait du secteur agricole
À une centaine de kilomètres de Lisbonne et sa Baixa, Almeirim est une petite ville du Portugal rural. Tout autour, une vaste plaine s’étale sur des kilomètres, irriguée par le Tage qui passe juste à côté. Si l'on est loin de la Silicon Valley, ici aussi des dizaines de jeunes ont monté leur propre affaire. Cette fois dans l’agriculture. Grâce à des aides données du gouvernement et de l’Union européenne, ce secteur retrouve un attrait inattendu. Les nouveaux agriculteurs peuvent recevoir des subventions s’élevant jusqu’à 75 000 euros. Chaque semaine, 260 nouvelles exploitations sont créées au Portugal.
Anna fait partie de ces nouveaux agriculteurs qui se sont installés autour d’Almerim. Cette jeune femme souriante de 26 ans affiche une tenue impeccable très urbaine. Seules ses bottes en caoutchouc évoquent sa nouvelle profession. Anna était directrice financière à Lisbonne. Mais après un an de chômage, elle a choisi de sauter le pas sur ces terres où elle a ses racines. "Jamais je n’aurais cru revenir à Almeirim, confie-t-elle. J’ai toujours étudié et vécu loin d’ici. Je me voyais en directrice d’une grande entreprise... Et bien ce sera de ma propre entreprise." Même si le secteur n’a pas grand-chose à voir avec la finance, l’agriculture va permettre à Anna d’utiliser ses compétences en management. Comme beaucoup de jeunes exploitants, elle mise sur les techniques modernes. Sous sa serre, elle a mis en place des cultures de salades et d’herbes aromatiques en hydroponie, hors sol. "Je dois m’adapter, comme tous les jeunes, explique-t-elle. Bien sûr que tout cela est nouveau pour les jeunes agriculteurs. Mais nous apprenons ensemble, nous nous entraidons."
Ce choix d’une carrière agricole, même s’il est assumé, reste pour beaucoup de jeunes un choix par défaut. Anna n’en fait pas mystère : si elle avait une vraie opportunité de travail à Lisbonne ou à l’étranger, elle quitterait ses salades et ses bottes. Mais en attendant ce jour, c’est ici qu’elle a trouvé sa place. "Je suis dans une nouvelle phase de ma vie. Ce n’est pas la course et le stress du boulot. Tout est tranquille. Il faut un peu pousser les gens, mais tout se passe bien, et dans les temps."