Au deuxième jour de l’opération armée menée sur le site gazier d’In Amenas, Atmane Tazaghart, rédacteur en chef de la rédaction arabophone de FRANCE 24, revient sur l’assaut des forces algériennes et sur le profil des ravisseurs.
Plus d'un jour et demi après le lancement de l’opération algérienne sur le site gazier d’In Amenas, l’incertitude reste de mise. Les autorités algériennes ont fait état de morts et de blessés, mais aucun bilan officiel n’a encore été communiqué.
Alger a toutefois affirmé que 639 otages avaient été libérés du complexe, mais qu’une soixantaine d'étrangers étaient toujours aux mains des djihadistes d’Al-Mulathamin. Dirigé Mokhtar Bel Mokhtar, un ancien chef d’Aqmi, le groupuscule exige la libération de deux détenus aux États-Unis et l'arrêt de l'offensive française au Mali.
Atmane Tazaghart, rédacteur en chef de la rédaction arabophone de FRANCE 24, et auteur de l’ouvrage "Aqmi, enquête sur les héritiers de Ben Laden en Afrique et en Europe" (Picollec, 2011) décrypte la situation sur le terrain.
FRANCE 24 : Comment les autorités algériennes sont-elles parvenues à libérer plus de 600 otages ?
Atmane Tazaghart : Pour ces cas-ci, on ne peut pas parler d’"otages" à proprement dit. La prise d’otages a été menée par trois groupes d’assaillants, dont on pense qu’ils ne sont que 17 ou 18 au total. Le premier groupe a attaqué le site gazier, le deuxième les lieux de résidence des travailleurs et le troisième un bus qui transportait des responsables de sociétés pétrolières. Il n’y avait, à l’origine, qu’une quarantaine d’otages scindée en trois groupes. Au moment de mener l’assaut, les forces algériennes ont verrouillé le complexe, au sein duquel des centaines de travailleurs algériens et étrangers se sont retrouvés pris au piège.
Les autorités algériennes essaient de faire croire qu’ils ont "libéré" 600 otages afin de mieux préparer l’opinion à un bilan qui sera sans doute sanglant. De l’autre côté, il y a aussi de la propagande puisque les assaillants ont voulu faire croire à une prise d’otages massive.
Pourquoi l’armée algérienne est-elle intervenue si rapidement ?
La nature du site ne permettait pas aux forces d’intervention de gagner du temps, comme elles ont l’habitude de faire avec des preneurs d’otages. Il s’agit d’un endroit ouvert et vaste comme un village où on ne peut pas prendre les ravisseurs par surprise. Le complexe est, en plus, planté au milieu du désert, donc suffisamment ravitaillé pour qu’on puisse y tenir deux mois. Difficile dès lors d’épuiser les ravisseurs.
En outre, la négociation telle que l’entendent les Occidentaux n’est pas dans la culture des Algériens. Plus le temps passait, plus les gouvernements occidentaux auraient empêché une intervention. Les Algériens ont voulu couper court aux éventuelles contestations et régler la situation de façon radicale. C’est la première fois que je vois une prise d’otages se régler avec des bombardiers. L’opération se déroule comme Vladimir Poutine a l’habitude de régler ces histoires : dans la violence.
Mais les Algériens savaient aussi que la négociation n’est pas non plus dans la culture des terroristes. Le chef djihadiste qui a parlé sur l’antenne de FRANCE 24 a bien précisé que les membres du commando s’engageaient à mourir et qu’ils étaient équipés de ceintures d’explosifs. Leur but, dès le début, était de mener une opération kamikaze.
Qui se cache derrière le groupuscule Al-Mulathamin, qui revendique la prise d’otages ?
Leur chef est Mokthar Bel Mokhtar qui, après avoir été écarté d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, a créé ce groupe il y a deux mois et avait besoin de médiatisation. L’intervention française au Mali était une opportunité pour lui de politiser leurs revendications. Après cet épisode, Al-Mulathamin a toutes les chances de s’imposer comme un grand groupe islamiste dans la région.
Pour peu que l’on sache, les membres du commando sont algériens. FRANCE 24 et l’agence mauritanienne ANI, qui ont pu parler à des ravisseurs, sont arrivés à la conclusion qu’il s’agissait d’Algériens s’exprimant dans un dialecte du Sud algérien. En tout cas, le chef des assaillants, Abou al-Baraa, que l’on avait donné pour mort hier [jeudi 17 janvier], est Algérien.