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Hollande, Villepin et le fantôme "néo-con"

Si l'intervention militaire de la France au Mali semble faire l'unanimité, Dominique de Villepin, avocat d'affaires et ancien ministre des Affaires étrangères, se demande lui si la France n'est pas prise d'un "virus néoconservateur".

Au Mali, en France, comme chez nos alliés, personne ou presque ne semble rien trouver à redire à l’opération militaire française pour stopper les "terroristes" ou les "djihadistes". Personne ou presque. Car la brusque intervention de Dominique de Villepin, avocat d’affaires et ci-devant Premier ministre dans l’actualité internationale oblige à y regarder de plus près. 

Villepin, ce n’est ni Jean-Luc Mélenchon, ni Noël Mamère. Villepin, c’est le fameux discours du Conseil de sécurité contre la guerre en Irak en 2003, objet - dix ans après - d’un véritable culte. Ce discours, c’était pour beaucoup l’avertissement d’un "vieux pays" contre l’ "hubris" de la guerre, fut-elle habillée des meilleurs sentiments démocratiques. Dans son interview au "JDD" hier, Villepin se place implicitement dans la lignée de son discours de l’ONU en se demandant si la France n’est pas prise d’un "virus néoconservateur". Diable ! François Hollande serait donc le monsieur Jourdain de l’action extérieure, une sorte de néoconservateur prosaïque. Il entendait promouvoir des relations "normales" entre la France et l’Afrique, et le voici accusé de faire quasiment du George W.Bush.
Il est vrai que la France a du mal à échapper à ce rôle de "gendarme" de l’Afrique. A-t-elle cru sincèrement que les Africains de la Cédéao pouvaient remplir ce rôle ? Pensait-on sincèrement à Paris que les "rebelles" allaient tranquillement attendre que cette force africaine soit mise sur pied, correctement armée et entraînée (par la France), pour se laisser repousser vers le nord ? Toujours est-il que l’offensive d’Ansar Dine - une bourde ? - a pris la France de court, l’obligeant à intervenir d’urgence pour empêcher la constitution d’un "État terroriste" (Fabius), alors qu’il y a quelques jours encore François Hollande estimait encore que c’était aux Africains de faire le ménage.
Un pays en faillite
Villepin pense que les conditions de la réussite ne sont pas réunies au Mali. Et un certain nombre de ses arguments paraissent fondés, en particulier celui-ci : une fois l’offensive repoussée vers le nord (jusqu’où exactement ?), sur qui allons-nous nous appuyer dans ce Mali qui est aujourd’hui un pays en faillite ? Mais les conditions de l’intervention n’ont rien à voir avec l’Irak (ni pseudo armes de dissuasion massive, ni pétrole) et le Mali n’a pas l’importance stratégique du Niger et de ses mines d’uranium.
Pourtant, la France pourrait s’y retrouver demain dans une situation comparable à celle des Américains en Irak. Obligée d’y maintenir durablement une présence militaire pour rebâtir l’armée et l’État et lui permettre de mieux se défendre contre les djihadistes. Et elle s’exposera alors à des opérations terroristes, au Mali et peut-être aussi en France, ou quelques réseaux dormants ne demandent qu’à se réveiller. Comme l’Irak il y a dix ans, le Mali est déjà redevenue une destination de prédilection pour les candidats au djihad. Selon le juge anti-terroriste Marc Trevidic, une quinzaine de français y serait déjà partis.
Intervenir au sol pour finir le travail
Paris espère encore que la force inter-africaine prendra rapidement le relai. Mais il y a fort à parier qu’il s’agisse encore d’une illusion, et que les soldats français doivent bientôt intervenir au sol pour finir le travail. Mais ils ne supprimeront pas la menace djihadiste au Sahel. Tout au plus la déplaceront-il. Les djihadistes du Mujao, d’Aqmi, du MNLA ou d’Ansar Dine se replieront bientôt pour se préparer à la guérilla contre la France. À moins que Paris ne sache enfoncer un coin dans cet attelage bizarroïde, en entamant des discussions politiques sur la question touareg notamment.
C’est ici que le raisonnement de Dominique de Villepin trouve sa limite, sauf respect : malgré les apparences, la France n’intervient pas au Mali pour sauver la mise à un régime putschiste (les hommes en place actuellement à Bamako méritent pourtant cet épithète), mais pour défendre les intérêts sécuritaires français. Elle aura moins de mal que les Américains en Irak à rétablir un régime réellement démocratique (et militairement crédible) au Mali. À cette condition, la France démontrera qu’il peut y avoir des "mauvais" gendarmes et de "bons" gendarmes. Mais qu’elle ne peut échapper à ses responsabilités sur le continent africain. Pas encore.