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Les Tunisiens célèbrent, lundi 14 janvier, le deuxième anniversaire de la révolution qui a mis fin au régime de Ben Ali. La coalition au pouvoir dominée par les islamistes d'Ennahda fait face à de vives critiques quant à sa gestion des affaires.

La Tunisie commémore les deux ans de la révolution qui aura marqué le début des Printemps arabe. Le 14 janvier 2011, Zine el Adbidine Ben Ali s’envole en effet vers l’Arabie saoudite et les Tunisiens découvrent alors avec euphorie le goût de la liberté. À la suite des élections démocratiques organisées le 23 octobre 2011 pour élire une Assemblée constituante, une coalition est formée pour diriger le pays. Elle est constituée du parti islamiste Ennahda, sorti majoritaire du scrutin, des partis laïcs Ettakatol et le Congrès pour la République (CPR). Cette coalition a pour mission de conduire les affaires du pays en attendant la rédaction d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections présidentielle et législatives.

Les trois partis au pouvoir font cependant face à des défis de taille. Beaucoup de Tunisiens attendent avec impatience qu’ils apportent des réponses aux questions qui étaient au cœur des revendications de la révolution tunisienne.

La hausse du chômage

L’un de ces problèmes, le chômage, fut le déclencheur du mouvement révolutionnaire en Tunisie. Et deux ans après que le jeune Mohammed Bouazizi, poussé par le désespoir, se soit immolé par le feu, les chiffres du chômage ne cessent d’augmenter. Pendant la campagne électorale, les dirigeants d’Ennahda avaient promis de créer 400 000 emplois s’ils remportaient le scrutin. Mais pour l’heure, malgré ces promesses, aucune amélioration ne se profile sur le marché de l’emploi. Selon les chiffres officiels publiés par le ministère du Travail, on comptait en février 2011 187 442 demandeurs d’emploi. Un an plus tard, en février 2012, ils ne sont pas moins de 300 637, soit une hausse de 37 %, dont plus des deux tiers sont diplômés.

À ces chiffres alarmants s’ajoute la fuite de nombreux investisseurs étrangers et tunisiens vers d’autres pays comme le Maroc ou encore la Turquie. Selon les chiffres officiels, les investissements étrangers en Tunisie ont diminué de plus de 26 % entre le début et la fin de l’année 2011.

La montée des salafistes

À l’économie s’ajoutent des problèmes de société. Depuis l’arrivée d’Ennahda au pouvoir, la mouvance salafiste est montée en puissance en Tunisie, faisant une entrée fracassante dans la vie publique. Les salafistes se sont attaqués en premier lieu à des manifestations culturelles. On se souvient notamment de l’agression contre certaines œuvres exposées en juin 2012 au palais Abdellia à La Marsa, une banlieue de Tunis.

Après la diffusion sur Nessma TV du film "Persépolis" de l’Iranienne Marjane Satrapi, des salafistes s’étaient également attaqués au siège de la télévision. Ces islamistes radicaux s’en sont également pris au spectacle de l’artiste tunisien Loutfi Elabdalli, et au film de la réalisatrice tunisienne Nadia al Fanni.

Le 12 décembre 2012, les salafistes tunisiens ont à nouveau fait parler d’eux quand des émeutes anti-américaines ont gagné les grandes villes du monde musulman contre le film anti-islam "L’Innocence des musulmans". Plusieurs personnes ont été tuées dans l’attaque contre l’ambassade américaine à Tunis.

Mais malgré toutes ces agressions, le gouvernement en place semble considérer les salafistes comme des observateurs pacifiques de la vie politique et sociale en Tunisie. Rached Gannouchi, le fondateur d’Ennahda, estime pour sa part que les salafistes sont parmi les catégories qui étaient opprimées sous l’ère Ben Ali et ne peuvent être traitées de la même façon.

Les milices des comités de "protection de la révolution"

On observe par ailleurs depuis plusieurs mois l’apparition de groupes armés violents qui concentrent leurs attaques contre le mouvement politique baptisé "L’appel de la Tunisie", fondé par l’ancien Premier ministre Beji Caïd Essebsi. Les réunions publiques de ce mouvement gagnent en popularité et ont déjà essuyé plusieurs attaques violentes de la part de ces milices qui ont obtenu des autorités un statut légal. Observant que la plupart du temps les actions de ces groupes armés semblent servir les intérêts du gouvernement en place, certains vont jusqu’à les désigner comme les milices d’Ennahda. Non seulement le gouvernement refuse de dissoudre ces milices, mais certains députés du parti islamiste qui siègent à l’Assemblée constituante ont pris publiquement leur défense.

L’indépendance de la justice

La justice est elle aussi sous le feu des critiques de l’opposition tunisienne qui l’accuse de ne pas être indépendante. C’est à Nour Dine el Bahiri, un des cadres du parti Ennahda, que le portefeuille de la justice est revenu. Depuis plusieurs mois, la justice tunisienne fait l’objet de vives critiques, notamment concernant son inaction contre la corruption.

D’autres affaires sont venues alimenter les critiques contre le mode d’action du ministère de la Justice. Comme l'affaire de la jeune femme violée par des policiers. Agressée et violée par des membres des forces de l’ordre en septembre, elle a fait l’objet de poursuites pour atteinte à la pudeur. Son histoire et son procès ont suscité l’émoi de la communauté internationale, indignée du sort réservé aux femmes en Tunisie, pays jusqu’ici connu dans le monde arabe pour sa défense du droit des femmes.

La justice tunisienne n’a pas non plus tardé à lancer des poursuites à l’encontre de la blogueuse tunisienne Olfa Riahi. Son tort : avoir révélé au grand jour l’affaire dite du Sheraton. En décembre dernier, elle publie sur son blog des notes de l’hôtel Sheraton de Tunis, situé non loin du ministère des Affaires étrangères, toutes réglées aux frais du ministère. Le chef de la diplomatie tunisienne, Rafik Abdelsalam, est aussitôt éclaboussé par ce scandale de corruption, doublé d’une affaire de mœurs, car l’une des notes d’hôtel concernait une femme qui n'était pas celle du ministre…

L’usage excessif de la violence par les forces de l’ordre

Quant au ministre de l’Intérieur Ali Larayedh, un autre membre d’Ennahda, il fait lui aussi l’objet de vives critiques. Il a tenté de s’attaquer à des questions sensibles d’une manière nouvelle qui tranche avec ce que le pays a connu sous les présidences de Ben Ali ou de Bourguiba. Reste qu’une chose n’a pas changé : l’usage excessif de la violence face aux protestations et autres manifestations. En novembre dernier, au moins 300 personnes ont été blessées dans les émeutes entre la police et les manifestants à Siliana, dans l’ouest de la Tunisie. La police n’a pas hésité à tirer avec des fusils à chevrotines à hauteur de visage. Plusieurs manifestants ont perdu la vue. Ces incidents ont conduit l’ONG Human Rights Watch (HWR) à réclamer une réforme des services de maintien de l’ordre public et une formation des policiers.

Les émeutes de Siliana ne constituent pas un évènement isolé. Le ministère de l’Intérieur avait déjà fait l’objet des critiques de l’opposition quand il a violemment réprimé plusieurs manifestations qui avaient pourtant été autorisées. L’opposition n’a également pas manqué de relever que les autorités n’avaient pas réservé le même traitement aux manifestations de salafistes.

Le bilan négatif de ce gouvernement transitoire a poussé une grande partie de l’opposition à le qualifier de "pire gouvernement ayant dirigé la Tunisie". Sur Facebook, les Tunisiens sont divisés sur la commémoration de cet anniversaire. Pour certains, c’est l’anniversaire de la chute de la Tunisie ; pour d’autres, il s’agit de l’anniversaire d’une "révolution confisquée". Selon les internautes, le 14 janvier n’évoque plus la révolution du peuple, mais plutôt l’usurpation de la révolution populaire par le parti islamiste Ennahdha, lequel a cueilli les fruits d’une révolution qui a uni les Tunisiens.