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Quand Tokyo opte pour la relance, à l'inverse de l'Europe

Tokyo a décidé de mettre en œuvre un ambitieux plan de relance de 175 milliards d’euros alors même que le Japon est le pays le plus endetté au monde. Une approche qui peut surprendre en Europe où tous les pays sont priés de se serrer la ceinture.

La dette ? Même pas peur. Le Premier ministre japonais a annoncé vendredi qu’il allait mettre en œuvre un ambitieux plan de relance de 20 000 milliards de yen (175 milliards d'euros) pour soutenir l’économie de l’archipel. La moitié va être financée par l’emprunt public et l’autre sera supportée par le secteur privé. Un énorme coup de pouce alors même que le Japon est le pays le plus endetté au monde.

Le programme japonais prévoit d'importants investissements pour améliorer les infrastructures, notamment dans le nord-est du pays, zone la plus touchée par le tsunami du 11 mars 2011. Il envisage également de subventionner les PME afin de les inciter à garder leur activité sur le territoire national. Une injection de liquidités qui doit, d’après le gouvernement de droite fraîchement élu, permettre des centaines de milliers d'emplois.

Ce plan doit faire quelques envieux du côté de l'Europe, où les États sont tous appelés à serrer la ceinture budgétaire pour réduire leur dette et leur déficit. Une rigueur européenne qui est donc à mille lieux des considérations économiques japonaises alors même que leur dette atteint 220 % du PIB.

Au Japon, contrairement à l’Europe, “les marchés financiers ne voient pas de risque à détenir de la dette”, explique à FRANCE 24, Bruno Ducoudré, spécialiste de l’économie japonaise à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Les taux d’intérêt auxquels l’État nippon emprunte à cinq ans et dix ans sont respectivement de 0,2 % et 0,8 %. Un prix à payer loin, très loin, des 4 % ou 5 % imposés à l’Espagne ou l’Italie.

La relance avant les déficits

Cette "gentillesse" des marchés financiers s’explique par deux spécificités japonaises. Tout d’abord, la Banque centrale japonaise (BoJ) rachète massivement de la dette. Bien plus que la Banque centrale européenne. “Les investisseurs sont donc sûrs d’être remboursés”, souligne Bruno Ducoudré. En outre, la BoJ le fait sans poser de conditions de réduction des déficits, à l’inverse de la BCE.

Ensuite, 91 % de la dette du pays est détenue par des Japonais. Qu’est-ce que ça change ? “Les investisseurs institutionnels étrangers qui ont souvent une vision plus court-termiste [que les résidents nationaux, NDLR] sont plus enclin à faire fluctuer fortement les taux d’intérêt, surtout qu’ils ont tendance à adopter des approches plus spéculatives”, remarque Bruno Ducoudré.

Ce spécialiste souligne, cependant, que le Japon n’ignore pas pour autant son problème de déficit et de dette. “Le gouvernement sait bien qu’il ne peut pas vivre ad vitam eternam avec un déficit public de 10 %”, affirme-t-il. Mais, contrairement à l’Europe, la logique de Tokyo est de dire que la relance précède l’assainissement des finances.

Reste à savoir si ce plan va effectivement engendrer la croissance. “À court terme, il aura certainement un impact positif”, affirme Bruno Ducoudré. Mais, le tableau est moins évident à long terme. “Une politique de relance par les dépenses publiques risque de retarder d’autant les réformes structurelles du marché du travail que le Japon doit mettre en œuvre pour regagner de la compétititivité”, craint ainsi le quotidien économique britannique "Financial Times".

Pour ce journal d’inspiration libérale, Tokyo adopte donc une politique de l’autruche vis-à-vis des dysfonctionnements économiques du pays avec ce plan de relance. Une analyse un peu hâtive pour Bruno Ducoudré. “Reconstruire le nord-est du pays va permettre d’augmenter la capacité de production, même à long terme, du Japon et de soutenir les PME pour éviter qu’elles délocalisent permettra de garder du savoir-faire sur le sol japonais”, estime-t-il.