La Constitution égyptienne défendue par les islamistes au pouvoir a été ratifiée mercredi par le président Mohamed Morsi. Retour non exhaustif sur les principaux points contestés de ce nouveau texte, qui fait désormais autorité dans le pays.
C’est désormais officiel, l’Égypte s’est dotée d’une nouvelle Constitution, moins de deux ans après la chute de l’ancien rais Hosni Moubarak. Le président Mohamed Morsi a signé, mercredi 26 décembre, le décret d'application du texte, approuvé par référendum les 15 et 22 décembre. La veille, la commission électorale avait proclamé les résultats officiels du scrutin, entaché d'irrégularités selon l'opposition.
Morsi annonce un prochain remaniement
Après s’être félicité de l’adoption de la nouvelle Constitution soutenue par les islamistes, le président égyptien Mohamed Morsi a annoncé mercredi un prochain remaniement du gouvernement pour répondre aux défis économiques du pays.
"Je vais déployer tous mes efforts pour soutenir l'économie égyptienne, qui fait face à d'énormes défis mais a aussi de grandes chances de croissance", a-t-il déclaré dans une allocution télévisée.
Il a ajouté être en consultations avec le Premier ministre Hicham Qandil "pour procéder aux remaniements ministériels nécessaires".
Élaborée par l’Assemblée constituante dominée par les islamistes, la nouvelle Constitution est loin de faire l’unanimité dans le pays. Si ses défenseurs, dont la confrérie des Frères musulmans, assurent qu’elle est à même de stabiliser l’Égypte, ses détracteurs ne démordent pas du contraire. Ces derniers, membres de l’opposition laïque ou responsables d’ONG, l’accusent d’être le reflet d’une vision islamiste du pouvoir et d’islamiser la société. Retour non exhaustif sur les principaux points contestés du texte, qui fait désormais autorité dans le pays et qui risque de bouleverser les usages au sein de la société égyptienne.
La Constitution, la religion et les minorités religieuses
L’article 219, qui ravit les salafistes, fait notamment débat. En effet, ce dernier stipule que les diverses doctrines sunnites, susceptibles d’êtres porteuses de visions rigoristes ou d’empêcher des lectures progressistes, sont désormais considérées comme des sources d’interprétation pour la charia. Tawadros II, le patriarche des coptes, qui constituent entre 6 % et 10 % des 83 millions d'Égyptiens, s'y était ouvertement opposé.
En outre, l’Université al-Azhar, qui jouit d’une autorité morale auprès du monde sunnite, est érigée en organe de référence "sur les questions liées à la charia". Ce qui fait craindre une intrusion intempestive des religieux, ainsi sacralisés par le texte constitutionnel, dans la sphère législative.
Enfin, si la "liberté de croyance est garantie" par l’article 43, la Constitution fait exclusivement référence aux trois religions "abrahamiques" que sont l'Islam, le Christianisme et le Judaïsme. Les adeptes des autres religions, qui ne sont nullement évoquées,
peuvent nourrir certaines inquiétudes selon l’ONG Human Rights Watch (HRW). Notamment la petite communauté bahaïe, dont la foi, née en Perse au XIXème siècle, est rejetée dans le monde musulman, à l’instar de celle de la communauté des ahmadis.
La Constitution, les femmes et les enfants
L’opposition va faire appel du résultat
Dénonçant des fraudes, l'opposition a annoncé, dimanche, qu'elle allait faire appel du résultat du référendum.
"Il est sûr que le résultat du référendum est dû à la fraude, aux violations et aux irrégularités constatées", a déclaré le Front du salut national (FSN), principale coalition de l'opposition.
Le nouveau texte précise que "les citoyens sont égaux devant la loi et égaux sans discrimination dans leurs droits et devoirs", sans aucune mention explicite de l’égalité des sexes. Si l’Assemblée constituante a écarté un article décrié qui liait le droit des femmes à la charia, un autre stipule que "l'État devra assurer l'équilibre entre les devoirs familiaux et professionnels des femmes" et garantir "une protection spéciale" aux mères célibataires, aux femmes divorcées et aux veuves. L’interprétation de cet "équilibre" reste vague et fait craindre à des ONG une intrusion de l’État dans la vie privée des femmes. "Dans la nouvelle Constitution, les références aux femmes sont systématiquement accompagnées de références à la famille et au foyer, ce qui pourrait entraver la lutte pour l’égalité homme-femme", déplore Amnesty International.
Concernant les enfants, HRW critique l’article 35 qui ne définit pas ce qu’est un enfant, regrettant que toute personne âgée de moins de 18 ans ne soit pas considérée comme tel et que le travail des mineurs ne soit pas interdit.
La Constitution et les libertés
Trois chapitres de la nouvelle Constitution sont dédiés aux libertés de culte, d’expression, de création artistique et de la presse. Ainsi, la liberté d'expression est garantie par le texte, mais les "insultes contre les individus" sont interdites (art 31), de même que "les insultes envers les prophètes" (art. 44). Ces deux limites "sont suffisamment floues pour permettre de restreindre la liberté d'expression et donner lieu à de multiples poursuites judiciaires",
commente le site The Christian Science Monitor, un des plus anciens quotidiens américains.
De plus, l’article 81 vient poser d’autres conditions en liant ces droits et libertés au strict respect du texte constitutionnel, et par conséquent à la loi coranique. "Pour plusieurs juristes, cet article pourrait permettre aux islamistes de limiter les droits fondamentaux des citoyens, au nom de la charia", estime le site égyptien Hebdo al-Ahram. Tout comme la mention "L'État protège la morale, les mœurs et l'ordre public", figurant dans l’article 11, pourrait mener à la censure pure et simple.
Enfin, d’après l’article 145, il est interdit de ratifier des conventions internationales contraires à la Constitution. Si cette dernière indique que l'Égypte respecte ses engagements internationaux, les organisations de défense des droits humains regrettent l'absence de référence explicite aux conventions internationales en matière de droits de l'Homme.