En réponse aux sanctions prévues par la loi Magnitsky aux États-Unis, le président russe Vladimir Poutine a promulgué, vendredi, une loi très controversée interdisant l'adoption d'enfants russes par des familles américaines.
"Ce sont nos enfants !" Le message de Vladimir Vassiliev, député du parti présidentiel Russie unie, est sans détour. Le 19 décembre, la Douma - la chambre basse du Parlement russe - a adopté, en deuxième lecture et par 400 voix contre quatre, un texte amendé interdisant l’adoption d’enfants russes par des Américains ainsi que la fermeture des structures dédiées à l’organisation de ces adoptions. Le projet de loi - le plus hostile pris par Moscou envers Washington depuis la guerre froide - vient d'être ratifié par le président Vladimir Poutine.
Cette mesure fait figure d’acte de représailles contre le "Magnitsky act" qui interdit aux personnes impliquées dans des violations des droits de l’Homme d’entrer sur le sol américain. Promulguée le 14 décembre par le président Barack Obama, cette loi porte le nom du Russe Sergeï Magnitsky, décédé dans une prison moscovite en 2009 des suites de mauvais traitements physiques. Juriste pour un fonds spéculatif américain, il avait dévoilé au grand jour une fraude fiscale, estimée à 234 millions de dollars, de la part de membres du ministère russe de l'Intérieur ayant toujours nié ces allégations.
Une réponse "appropriée", selon Poutine
Joint par FRANCE 24, le ministère américain des affaires étrangères regrette que cette loi sanctionne les orphelins russes au nom de certaines divergences politiques qui n’ont rien à voir.
Par ailleurs, le ministère n’était pas encore en mesure, le 27 décembre, d’annoncer ce qu’il allait advenir des familles en cours d’adoption d’un orphelin russe.
"Nous essayons d’évaluer l’impact que cette loi aura sur les adoptions actuellement en cours. Nous encourageons les familles américaines à se rapprocher du State Department afin de nous dire où ils en sont dans la procédure." Le cas de chaque famille devrait être pris en charge directement par le ministère qui met également régulièrement son site web à jour.
Défendant son vote à la Douma, Vladimir Jirinovski, chef de file du Parti libéral-démocrate, a assuré que les orphelinats russes "n'[avaient] rien à envier aux familles américaines". Tandis que certains commentateurs politiques s’attendaient à un veto de la part du président Vladimir Poutine, celui-ci a approuvé la mesure. "C'est une réponse de la part de la Douma due à l'émotion, mais je pense qu'elle est appropriée", déclarait-il déjà, jeudi 20 décembre, au cours de sa première grande conférence de presse depuis son retour au Kremlin en mai dernier.
Le projet de loi ne fait par pour autant l’unanimité. Ancienne dissidente soviétique, Lioudmila Alexeeva, présidente du groupe Helsinki de Moscou, dit avoir "honte" de cette mesure. "Dans leur rancœur impuissante, ils veulent se venger. Mais ne parvenant pas à toucher les Américains, ils s'en prennent aux enfants", a-t-elle affirmé à l'agence de presse Interfax. Des dizaines de personnes ont manifesté aux portes de la Douma en signe de protestation. Une trentaine d’entre eux ont été interpellés, selon la police de Moscou.
Mauvais traitements des parents américains
En 2011, 956 des 3 400 enfants russes adoptés par des étrangers ont été accueillis par des parents américains. Ce qui fait des États-Unis le premier pays d’accueil des orphelins russes.
La question des adoptions internationales est d’autant plus sensible que les cas de mauvais traitements infligés par les parents adoptifs étrangers sont très médiatisés en Russie. "La plupart des cas de maltraitance sur des enfants russes adoptés ont lieu aux États-Unis. Il y a un réel contentieux entre les deux pays à ce sujet. Bien qu’il s’agisse de cas isolés, les Russes s’en servent comme un levier politique et diplomatique", explique à FRANCE 24 Stéphane Lauch, vice-président du site adoption-russie.com, association d’aide à l’adoption créée en 2004. "[Ce projet de loi] est de bonne guerre mais surtout malheureux pour les enfants", ajoute-t-il.
En vingt ans, 19 orphelins russes ont péri pour cause de maltraitance aux États-Unis, chaque cas ayant été largement relayé par les médias russes. Le projet de loi amendée que la Douma vient d’approuver porte d’ailleurs le nom de l’une de ces victimes, Dima Iakovlev, retrouvée morte en 2008 après que sa mère adoptive américaine l’ait oubliée dans son véhicule en pleine chaleur.
Difficultés supplémentaires pour la France
Les amendements ajoutés et votés mercredi prévoient, outre l'interdiction de l'adoption, la fermeture de toute ONG politique percevant des financements américains, et empêchent une personne détenant un passeport américain de diriger ou d'être membre d'une ONG active sur le terrain politique.
Conformément au texte, une liste noire des étrangers indésirables en Russie devrait également être établie.
La fermeture aux adoptions américaines ne signifie pas que le terrain sera plus propice pour les candidats à l’adoption venant d’autres pays. Pour Stéphane Lauch, ce durcissement des conditions d’adoption ne change en rien la situation française. "Cela fait longtemps que le ciel nous est tombé sur la tête. Depuis deux ans, la Russie exige un interlocuteur unique et responsable pour chaque procédure d’adoption", affirme-t-il, regrettant que la France ne dispose pas d’un organisme public capable de centraliser toutes les demandes. "L’État français ne fait que délivrer l’agrément [le sésame obligatoire pour toute demande, ndlr] aux citoyens et c’est ensuite à eux de se débrouiller."
Moscou a également mis en place des rapports de suivi de chaque enfant adopté. Pour la France, si un rapport n’est pas reçu en temps et en heure, l’ensemble du département de résidence des candidats à l’adoption est placé sur une liste noire. Celle-ci n’a pas valeur de loi mais signifie que tous les habitants du département concerné sont vivement déconseillés. Selon Stéphane Lauch, 70 départements français sont aujourd’hui black-listés par la Russie.
Washington regrette que des enfants pâtissent de dissensions politiques
Mais le coup fatal porté à la France pour l’adoption en Russie remonte au printemps 2012. Initié par Moscou, un accord bilatéral franco-russe prévoit d’interdire toute initiative individuelle. En d’autres termes, les candidats à l’adoption ne pourront plus faire leur demande seuls. Or 80 % des adoptions en Russie par la France sont faites à titre individuel, rapporte Stéphane Lauch. Déjà ratifié par Moscou, l’accord pourrait être signé par le ministère des Affaires étrangères français au premier trimestre 2013.
"Les candidats à l’adoption sont tous très inquiets. Ce qui était déjà difficile il y a deux ans leur semble quasi-impossible aujourd’hui", déplore Stéphane Lauch. Mais il veut toutefois rester optimiste. "Poutine a toujours dit, notamment lors de son précédent mandat, qu'il voulait diminuer voire arrêter l’adoption internationale. Il dit également vouloir faire disparaître tous les orphelinats de Russie, ce qui semble peu réalisable et démontre surtout qu'il s'agit d'un discours politique."
Outre-Atlantique, le ministère américain des Affaires étrangères, joint par FRANCE 24, dénonce également une décision politique. "Nous estimons qu’il est malavisé de lier l’avenir d’enfants à des considérations politiques qui n’ont rien à voir avec le sujet. Nous regrettons sincèrement de voir que la Russie a choisi cette direction plutôt l’application d’un accord bilatéral sur l’adoption que nous avions conclu en novembre dernier."
En dix ans, plus de 60 000 enfants russes ont été accueillis par des familles américaines. Washington, qui assure avoir continué à collaborer "étroitement" avec Moscou jusqu’à ce que la loi soit adoptée, doit aujourd’hui gérer les cas des centaines de familles en attente de l’enfant russe qui leur avait été promis.