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Alors que Gérard Depardieu s'exile et souhaite renoncer à la nationalité française, l'Assemblée nationale vient d’approuver le renforcement d’une niche fiscale censée enclencher le rapatriement des tournages de films sur le territoire français.
La Belgique n’est pas qu’une terre d’asile pour les acteurs français qui, à l’instar de Gérard Depardieu, disent payer trop d’impôts en Hexagone. Depuis plusieurs années, le royaume accueille pléthore de tournages de films produits par des sociétés françaises en quête d'avantages fiscaux. Un exil que les défenseurs du cinéma "made in France" digèrent d’autant plus mal qu’il concerne parfois des œuvres censées célébrer l’héritage culturel français. Qui, dans la profession, ne s’était pas offusqué de la délocalisation en République tchèque des films comme "Faubourg 36" ou encore "La Môme", qui valut, en 2008, un Oscar à Marion Cotillard ?
Plus récemment, c’est donc chez les voisins belges que Michel Gondry a tourné cette année une grande partie de son adaptation cinématographique du célèbre roman de Boris Vian, "L’Écume des jours". Idem pour "Landes", de François-Xavier Vives, et "Une place sur la terre", de Fabienne Godet. D’autres productions ont fait cette année le choix de déplacer leurs plateaux au Luxembourg, en Allemagne ou en Espagne. D’après la Fédération des industries du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia (Ficam), au premier trimestre de 2012, les délocalisations chez les voisins européens concernaient 42 % des longs-métrages français (contre 22 % au premier trimestre de 2011), soit le taux le plus important enregistré ces cinq dernières années.
"Aucun pays d’Europe ne produit autant que la France, pays qui, en termes de volume, demeure la plus grosse zone de production du continent, tempère toutefois Philippe Lamassoure, délégué général de Film France, organisme qui, sous l’égide du Centre national du cinéma (CNC), a pour but de développer les tournages en France. L’industrie du cinéma représente, tous les ans, 3 milliards d’euros d’investissements. Mais, ces dernières années, nous avons commencé à perdre des projets car des producteurs, pour des raisons de coût, préfèrent délocaliser en Europe de l’Est."
Astérix et Obélix : au service des voisins européens
Toujours d’après la Ficam, cette hémorragie affecterait de manière significative les productions à gros budget. En 2012, près de 70 % des films à plus de 10 millions d’euros ont été délocalisés (contre 33,6 % en 2009). Parmi les plus gros succès du box-office de 2012 figurent des titres qui ont été tournés partiellement ou intégralement au-delà des frontières françaises. Tandis qu’Alain Chabat partait "Sur la piste du Marsupilami" (5,3 millions d’entrées) en Belgique et au Mexique, Laurent Tirard emmenait "Astérix et Obélix : au service de sa Majesté" (3,7 millions d’entrées) hors du territoire français pour des terres plus hospitalières en matière de fiscalité. Ainsi, pour leur quatrième aventure cinématographique, les irréductibles gaulois se sont rendus à Malte, en Hongrie et en Irlande, dont les côtes accidentées ressemblent comme deux gouttes de potion magique au littoral breton de la bande-dessinée d’origine.
"Le spectateur s’en fiche de savoir où un film a été tourné du moment qu’il l’apprécie, estime Philippe Lamassoure. Mais en termes de réalité économique, les délocalisations engendrent du chômage au sein des industries techniques et risquent d’affaiblir notre savoir-faire. Certains prestataires de service, comme les cascadeurs ou les loueurs de matériel, ont commencé à partir."
Des arguments économiques que la fréquentation en hausse dans les salles ainsi que la razzia opérée par "The Artist" sur la dernière cérémonie des Oscars ont longtemps tenu hors de portée des oreilles du public et de la classe politique. "Le cinéma français a le malheur de bien se porter en termes d’entrée et de consécration à l’étranger. Il y a un effet ‘bonne santé’ qui masque les problèmes d’emploi dans les entreprises techniques du cinéma."
Remise à niveau
En plein débat sur la compétitivité et le redressement productif, la France a fini par se saisir d’un problème susceptible d’écorner un pan important de ce qui constitue son "exception culturelle". Mardi 18 décembre, l’Assemblée nationale a approuvé la mise en place de nouveaux mécanismes fiscaux destinés à faire de l’Hexagone une terre de cinéma attractive pour les producteurs français.
Jusqu’alors établi à 1 million d’euros, le plafond du crédit d’impôts pour les productions françaises a été relevé à 4 millions d’euros, comme cela est le cas en Belgique. Un sacrifice pour l’État évalué à 70 millions d’euros mais qui devrait, selon les professionnels, s’avérer payant en espèces sonnantes et trébuchantes. "Les simulations que nous avons menées nous permettent de croire que le rapatriement des tournages pourra générer 200 millions d’euros d’investissements supplémentaires, soit un montant 4 à 5 fois supérieur à l’effort consenti", assure Thierry de Segonzac, le président de la Ficam.
Les Français, "moches et méchants"
En s’alignant sur ses voisins européens, la France espère non seulement favoriser le retour au bercail des tournages de ses films, mais aussi attirer les studios étrangers sur son territoire. Traumatisées par le fait que des longs-métrages de renommée tels "Munich", de Steven Spielberg, ou "Inglourious Basterds", de Quentin Tarantino, soient obligés de fuir Paris au profit d'autres villes européennes, les autorités françaises avaient créé, en 2009, un crédit d’impôt international (C2I) permettant aux films étrangers de bénéficer d'un abattement fiscal avantageux.
Depuis sa mise en place, la disposition a déjà fait ses preuves. Au moins a-t-elle permis à Woody Allen de faire "Midnight in Paris" ou à Martin Scorsese de tourner plusieurs séquences de "Hugo Cabret" dans la capitale française. "Avant 2009, les personnes chargées des repérages venaient faire des photos de Paris, disaient que c’était très joli et s’en allaient à Prague ou à Budapest", se souvient Philippe Lamassoure. Les productions étrangères représentaient alors 8 à 9 millions d’euros de dépenses chaque année. Aujourd’hui, ce sont 60 millions par an."
Mardi, les députés ont également élevé le plafond du C2I à 10 millions d'euros. "On peut espérer qu’un certain nombre de grosses productions américaines qui, hier, restaient deux à trois semaines en France avant de partir au Royaume-Uni ou en Allemagne, restent en France durant tout le tournage", s’enthousiasme Thierry de Segonzac. Comme ce fut le cas, fait inédit, du film d’animation américain "Moi, moche et méchant 2" dont l’intégralité de la production a été assurée en Hexagone par Mac Guff, un studio parisien de création d’effets visuels numériques salariant 200 techniciens.
Bienveillance
Pourvoyeur d’emplois, le numérique représente cependant une nouvelle menace pour les industries techniques françaises. "Pour les scènes parisiennes de ‘Munich’, Spielberg a toutefois été obligé de faire venir à Budapest des colonnes Morris et des bouches de métro. Il n’a certes pas tourné à Paris mais cela lui avait tout de même coûté cher. Aujourd’hui, il lui suffirait d’un bon graphiste pour reproduire le mobilier urbain de la ville. C’est donc une période où il faut rester vigilant."
Vigilant, l'État français s'est souvent employé à l'être avec son cinéma. Bénéficiaire d'aides à la production via le CNC et d'un régime d'allocations avantageux pour les intermittents du spectacle, le septième art hexagonal jouit désormais d'une plus grande bienveillance fiscale. De quoi faire des nouveaux envieux à travers le monde.